Les traversées de migrants de la Manche se multiplient, malgré les risques | Europe | Nouvelles et actualités de tout le continent | DW


Un jeune homme et sa femme sont assis sur une couverture près d’un rond-point, non loin de la route principale à la périphérie de Calais, dans le nord de la France. A proximité, leurs deux enfants regardent d’un air interrogateur. S’exprimant en allemand, l’homme dit à DW qu’ils sont originaires d’Érythrée et que leur demande d’asile a été rejetée par les autorités allemandes.

Il y a une centaine de personnes ici, principalement des jeunes hommes du Soudan et de l’Iran, mais aussi une femme du Koweït avec cinq enfants. Certains mangent de la nourriture distribuée par une organisation humanitaire ; d’autres chargent leurs téléphones.

Une feuille de carton et des sacs poubelles noirs remplis, à côté d'une tente et d'un sac de couchage

La police passe souvent pour nettoyer les camps de fortune

Un camp de fortune a été installé non loin dans les buissons, avec une literie rudimentaire, un tapis et quelques sacs de couchage. Mohaned, 19 ans, originaire du Soudan, montre la feuille de carton qu’il utilise comme matelas. Il dit que la police a enlevé leurs tentes la nuit dernière, une tactique confirmée par des ONG, les médias et même un policier local. Les autorités françaises veulent empêcher la formation d’une autre « jungle » après le démantèlement du tristement célèbre camp de migrants en 2016.

Si proche et pourtant si loin

Bien que des centres d’asile soient disséminés dans toute la France, de nombreux réfugiés et migrants à Calais pensent que la traversée risquée de la Manche est leur meilleure chance de se rendre au Royaume-Uni, à seulement 30 kilomètres (18,6 miles) à travers les eaux agitées.

Mohaned dit qu’il a essayé de traverser cinq fois, mais la police des frontières française l’a toujours arrêté. « J’ai des parents au Royaume-Uni », dit-il. « Ils me disent que c’est mieux qu’en France. Parce qu’en France, ils ne respectent pas les Noirs. »

Une carte de la Manche à Calais montrant l'itinéraire de l'Eurotunnel

Calais est le point le plus proche du Royaume-Uni sur le continent européen — un avantage géographique exploité par Eurotunnel

Beaucoup d’autres ont des histoires similaires : leurs demandes d’asile ont été rejetées par les États de l’UE, ou ils espèrent simplement se construire un avenir meilleur au Royaume-Uni, et ils n’ont pas essayé de demander l’asile ailleurs.

Pour s’y rendre, des milliers de personnes choisissent désormais de faire le dangereux voyage de l’autre côté de la Manche. La plupart versent à des passeurs des sommes exorbitantes pour tenter de faire le voyage illégal en canots pneumatiques sous le couvert de la nuit, ou au petit matin.

Des contrôles plus stricts en mer, sur terre

La préfecture maritime, chargée de la surveillance de la Manche et de la mer du Nord, a enregistré cette année plus de 550 traversées tentées ou réussies impliquant plus de 12 000 personnes. En juillet, le ministère de l’Intérieur britannique a déclaré que plus de 400 migrants étaient arrivés en une seule journée. En revanche, quelque 8 500 personnes se sont rendues au Royaume-Uni en traversant la Manche en 2020, selon les chiffres britanniques. Les autorités françaises ont recensé 9 500 personnes, bien plus qu’en 2019.

Le fait que davantage de personnes choisissent la route maritime ne signifie pas nécessairement que davantage de migrants arrivent au Royaume-Uni, mais simplement qu’il devient de plus en plus difficile de traverser par d’autres moyens. Alors que la moitié des migrants sont arrivés par bateau en 2020, en 2019, ils n’étaient que 11%. L’itinéraire du train Eurotunnel est plus étroitement surveillé qu’auparavant, et les camions circulant entre le Royaume-Uni et la France sont soumis à des contrôles beaucoup plus stricts.

Ludovic Caulier sur un bateau

Ludovic Caulier patrouille la côte en bateau

La France a également renforcé ses contrôles en mer, mais aussi dans les ports et sur les routes. La gendarmerie, la police militaire française, patrouille tous les jours sur la côte et – quand il fait beau – sur la mer aussi. Aujourd’hui, Ludovic Caulier, sous-chef à Calais, dirige une équipe de deux bateaux qui est partie vers Boulogne-sur-Mer, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest par la route. Il explique qu’il est plus facile d’avoir un aperçu de ce qui se passe sur les plages depuis le bateau.

« Nous voulons nous assurer qu’ils ne vont pas à la mer », a-t-il déclaré à DW. « La mer du Nord est très dangereuse. » Alors que le bateau file sur l’eau, Caulier regarde la côte avec ses jumelles. Soudain, il fait signe à ses collègues et le capitaine ralentit ; ils ont repéré des gens sur la plage. Il communique par radio avec son équipe sur le rivage, et ils finissent par se rendre compte qu’il ne s’agit que d’une séance photo, pas d’une tentative illégale de traverser la Manche. Le reste du quart de travail se déroule lentement, mais ils découvrent plus tard que leurs collègues ont empêché un groupe de migrants de faire le voyage plus tôt dans la matinée.

A Boulogne-Sur-Mer, un peu plus tard, la responsable régionale Dominique Consille débarque pour observer les équipes faire ce qu’elle appelle « une mission essentielle, salvatrice ».

« Nous avons affaire à des réseaux de passeurs bien organisés qui mettent les familles en danger et demandent beaucoup d’argent pour la traversée », dit-elle, ajoutant qu’il est impératif de les démanteler.

« On ne peut pas poster un policier par mètre carré »

Le gouvernement britannique a récemment accepté de verser à la France près de 63 millions d’euros (environ 73 millions de dollars) en 2021 et 2022 pour renforcer ses patrouilles dans la Manche et réprimer les passeurs, une évolution qui a été sévèrement critiquée par les ONG.

Pierre Roques, coordinateur de l’ONG Utopia 56, est convaincu que ces mesures ne résoudront pas la situation désastreuse à Calais et alentour. « Nos frontières ne sont pas des portes », a-t-il déclaré. « La côte est très longue. On ne peut pas poster un policier par mètre carré. »

Roques a déclaré que les autorités françaises ne faisaient que des « RP de sécurité » et que cela ne dissuaderait pas les gens d’essayer de traverser la Manche. « Ils seront simplement obligés de prendre encore plus de risques », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il devait y avoir des itinéraires sûrs et légaux pour que les gens puissent faire le voyage.

Des migrants interrogés par la police des frontières britannique dans le Kent

Les personnes qui arrivent illégalement au Royaume-Uni risquent désormais la détention

Mais le Royaume-Uni est en train de durcir encore plus ses lois. Le gouvernement a récemment présenté un projet de loi qui pourrait condamner à une peine de prison les personnes qui entrent illégalement dans le pays.

Roques, cependant, refuse de baisser les bras. En ce moment, il trie des vêtements qui ont été donnés à l’association, tandis qu’à proximité une jeune femme trie de la nourriture. A la tombée de la nuit, ils partiront distribuer le ravitaillement. Ils s’arrêteront également au rond-point où Mohaned du Soudan et la famille érythréenne attendent de rejoindre les centaines de personnes qui espèrent arriver un jour au Royaume-Uni, malgré tous les obstacles.

Cet article a été adapté de l’allemand



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