« les lignes bougent » savoure Cléopâtre Darleux


Dix jours après la signature de la convention collective, quel est le premier sentiment qui vous vient à l’esprit?
Cléopâtre Darleux:
« C’est vraiment de la satisfaction, de la reconnaissance. C’est un avancement, on sent que les lignes bougent, on arrive à avoir de plus en plus de considération dans le handball féminin et dans le sport féminin en général. C’est vraiment un pas en avant qui augure de bonnes choses pour la suite, ce n’est qu’un début. Cela permet aux joueuses de se rendre compte de l’importance de s’éprouver à nos droits et de se battre pour que cela évolue.« 

Combien de temps y at-il eu entre les prémices des discussions jusqu’à la signature de cet accord à Paris?
CD: « C’est surtout le syndicat des joueurs qui a travaillé dessus, avec le syndicat des entraîneurs. Cela fait longtemps qu’ils nous suivent. Cela fait deux ou trois ans que les joueuses se prennent en charge et se syndiquent. À partir de là, le syndicat va forcément plus travailler pour nous.« 

Comment cela s’est passé concrètement? Vous, les joueuses, avez été sollicitées pour faire remonter des propositions et des demandes?
CD: « Oui, on a maintenant un contact quotidien avec le syndicat, qui a des représentantes dans chaque club. Il y a une vraie communication, sur toutes les questions que l’on a, ils sont présents. Surtout dans cette période particulière avec la Covid. Sur l’accord, ils ne nous en ont pas parlé directement. Mais toutes les discussions que l’on a pu avoir ces dernières années ont aidé à établir cet accord.« 

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Le volet principal de cet accord concerne la maternité, enfin reconnu comme un droit pour les joueuses avec des devoirs pour les clubs. Vous aviez donné naissance à votre enfant durant la saison 2019-2020. Vous imaginiez qu’une convention collective pourrait aller aussi loin?
CD: « Non, c’est clair que je n’avais pas ça en tête. C’est encore un sujet assez tabou dans le sport féminin. On n’a pas l’habitude d’en parler, cela n’arrive pas encore forcément beaucoup aussi. Quand je suis tombée enceinte, c’était le flou total en fait (sourires). Je ne connaissais pas du tout les droits que j’avais, je me suis vraiment questionnée. Cette convention fait que, désormais, on connaît nos droits. C’est important. Le savoir va permettre à tout le monde de se poser les bonnes questions et de s’en poser de nouvelles.« 

Le chemin semble long quand on voit les disparités entre les clubs. Brest a maintenu votre rémunération durant votre grossesse, alors que Nantes a été frappé par l’affaire autour des tests de grossesse pratiqués aux joueuses il y a un an…
CD: « Pour tous les clubs, c’est un sujet, comment dire… qui n’est pas évoqué. Plus des joueuses vont tomber enceintes, plus il y aura des discussions, plus il y aura de réponses claires. Tant qu’il n’y avait pas la problématique, on ne se posait pas la question. Je ne sais même pas si Brest savait qu’il n’avait pas l’obligation de maintenir mon salaire. J’ai eu cette chance là à Brest, je sais que cela n’a pas été le cas dans tous les clubs. Je ne sais pas si à Nantes il y a eu maintien de salaire, alors que depuis cinq ans, elles ont des grossesses chaque année.« 

Le maintien des salaires pendant la grossesse « va faire du bien à toutes les jeunes femmes dans ce sport »

Vous avez évolué au Danemark: est-ce qu’à l’étranger, la situation est différente pour les handballeuses concernant les droits sociaux?
CD:
« C’est beaucoup plus « démocratisé » au Danemark. Je n’ai pas tous les détails des règles, mais c’est normal là-bas. Ce n’est pas du tout tabou. Elles continuent à faire du sport. Je trouve qu’en France, on est très craintifs à maintenir une activité physique durant la grossesse. J’ai vu des joueuses qui courent jusqu’à la fin de leur grossesse et reprennent plus vite. Chez nous, sur une beaucoup d’appréhension.« 

Vous pensez que ces nouvelles règles, certaines joueuses qui avaient écarté l’optique de devenir maman durant leur carrière vont peut-être désormais la considérer?
CD:
« Cela va libérer les mentalités, les envies de maternité des joueuses. Ce n’est pas forcément le maintien de salaire qui était le frein, je ne m’étais pas posé la question. En arrêtée 10-12 mois, je me demande simplement si j’allais retrouver mon niveau et ma place dans l’équipe. La convention va rassurer tout le monde. Là au moins, ce sera clair, il y aura cette sécurité. En parler, voir que de plus en plus de joueuses le font et reviennent en pleine forme ou en meilleure forme qu’avant, c’est un moteur. Cela va faire du bien à toutes les jeunes femmes dans ce sport.« 

Vous nous disiez que cette convention n’était qu’un début. Quelle est la suite désormais?
CD: « C’est de rentrer plus dans le détail sur chaque point de la convention, comme l’arrêt de travail pour blessure ou maternité. Il y aura des points qui vont être évoqués comme le suivi psychologique. C’est très important pour les joueuses qu’il y ait un soutien durant la grossesse. On est dans l’inconnu par rapport à ça.« 

« Il faut que le handball féminin français ait aussi envie de se créer son propre modèle »

La convention collective va remettre à niveau vos droits par rapport à ceux des handballeurs en France, notamment concernant la durée des congés payés. Ce qui se passe en Starligue, c’est le modèle à suivre en tout point?
CD: « C’est un modèle, c’est sûr, parce qu’ils ont de l’avance sur nous. Il faut que l’on ait aussi envie de se créer notre propre modèle. Il faut toujours viser plus haut. Les garçons sont plus syndiqués, s’impliquent plus que nous. Ils se battent vraiment pour leurs droits, pour leurs calendriers, ils sont très investis. Et c’est pour ça qu’ils ont réussi à avoir tous ces droits-là. Il faut que l’on fasse preuve de la même envie, de la même combativité pour nos convictions.« 

Vous espérez pouvoir inspirer d’autres sports en France avec des championnats féminins plus structurés et professionnels?
CD: « Complètement! Ça va être un modèle pour les autres sports féminins en France. Il y a déjà eu des discussions entre la fédération de handball et d’autres fédérations comme le basket et le volley. C’est dans la logique du développement du sport féminin. Avec Paris 2024, il y a une envie de faire évoluer le sport en général, mais surtout féminin. Cela ne peut qu’aller dans le bon sens pour les autres fédérations. Par le passé, le handball féminin n’était pas très professionnel. Quand j’ai débuté, il n’y avait pratiquement rien de mis en place auprès de la ligue. C’est via la professionnalisation du handball féminin, des clubs, que tout se structure. Il a fallu passer par des moments plus difficiles, des inégalités, pour qu’on ait envie de relever la tête et de faire valoir nos droits.« 

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