Le vieux conflit du Haut-Karabakh, reflet des dérèglements de l’ordre international


Dans la cathédrale Ghazanchetsots de Chouchi, dans le Haut-Karabakh, le 8 octobre.

Règle numéro 1 d’un conflit gelé: il ne l’est pas vraiment. Règle numéro 2: le dégel se produit de façon rapide et brutale, prenant au dépourvu ceux qui, par lassitude, avaient fini par s’en désintéresser. Le Haut-Karabakh est un cas d’école, dispute territoriale lancinante au sein de l’espace post-soviétique. Mais dans les affrontements meurtriers actuels, provoqués par l’offensive de l’Azerbaïdjan depuis le 27 septembre contre ce territoire peuplé majoritairement d’Arméniens, il faut veiller à identifier les formes anciennes de cette crise, telles qu’elles existent depuis des décennies, des nouveaux symptômes.

Le conflit du Haut-Karabakh est d’abord territorial. Il met aux prises deux principes, celui du droit d’un peuple – les Arméniens de l’enclave – à l’autodétermination, et celui de l’intégrité territoriale d’un Etat, l’Azerbaïdjan. Deux récits se font aussi face et s’ignorent, irréconciliables. Il est question de patriotisme, de victimes et de souffrances passées, d’enracinement culturel et cultuel.

L’intervention turque aux côtés de Bakou pétrifie tous les Arméniens, du pays ou de la diaspora. Le souvenir du génocide de 1915 s’enroule autour des branches de chaque famille, il est le traumatisme fondateur. Voilà pourquoi le premier ministre, Nikol Pachinian, a hâtivement parlé de «Menace existentielle» au sujet de l’opération militaire en cours.

«Ces dernières années, la température des relations entre Arméniens et Turcs était normale, souligne Thomas de Waal, expert de la région au centre Carnegie. Même si la Turquie soutenait politiquement l’Azerbaïdjan, les Arméniens voyageaient en Turquie, concernaient des affaires. Plusieurs milliers vivent à Istanbul. Là, tout d’un coup, un siècle est effacé. Nous voilà de retour en 1920, quand pour la dernière fois les soldats turcs étaient dans le Caucase. » De l’autre côté, la population en Azerbaïdjan vit dans le souvenir des 500000 personnes expulsées des territoires entre l’Arménie et le Haut-Karabakh, ayant passé sous contrôle d’Erevan, au début des années 1990.

Changement générationnel

Les deux parties, pour différentes raisons, découvrir le Haut-Karabakh «Comme leur Jérusalem», selon Thomas de Waal. Pour l’Arménie, c’est un berceau historique, riche d’églises anciennes, comme la cathédrale Ghazanchetsots de Chouchi, bombardée ces derniers jours. La décision, prix à l’époque soviétique, de rattacher ce territoire à l’Azerbaïdjan en 1921 illustre, aux yeux des Arméniens, les bidouillages funestes commis par les autorités communistes avec les minorités ethniques et religieuses. En 1988, en pleine perestroïka, le parlement local a demandé son rattachement à l’Arménie, ouvrant les hostilités avec Bakou. Au moment de la chute de l’URSS, fin 1991, un référendum d’indépendance a été organisé. Le cessez-le-feu conclu en 1994 après trois ans d’une guerre très sanglante a scellé une défaite pour l’Azerbaïdjan, privé de 13% de son territoire.

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