Le réalisateur « France » Bruno Dumont sur Léa Seydoux, les médias numériques et comment le « faux peut générer la vérité »


« France » est la dernière provocation de l’enfant terrible, Bruno Dumont, dont les films, « Humanité », « Twentynine Palms » et « Hadewijch », entre autres, polarisent les téléspectateurs. Dumont soulève ici de nombreuses questions intéressantes sur le journalisme, la politique et la culture annulée qui ne manqueront pas de susciter un débat.

France de Meurs (Léa Seydoux, de « Pas le temps de mourir ») est une journaliste de télévision populaire à Paris qui a développé une réputation considérable. Dans la scène d’ouverture, elle pose au président Macron une question sur « l’état insurrectionnel de la société française » lors d’une conférence de presse. (Un événement réel qui a été manipulé pour le film). Cela devient viral et la France devient la coqueluche des médias. Ses rapports ultérieurs sur les zones de guerre avec des loyalistes armés affrontant des djihadistes sont des accapareurs de cotes.

Alors qu’elle profite du privilège dans sa vie, son image s’effondre lorsqu’elle heurte accidentellement Baptiste (Jawad Zemmar) avec sa voiture. Elle admet sa responsabilité et se rattrape, mais l’incident incite également la France à reconnaître son propre mécontentement. Elle quitte son travail à la télévision, s’enregistre dans une clinique dans les Alpes et rencontre Charles (Emanuele Arioli), qui ignore sa célébrité.

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Où va la « France » à partir de là, il est préférable de laisser les téléspectateurs le découvrir. Mais le film de Dumont critique pensivement l’industrie des médias tout en abordant habilement les questions de capitalisme, de vie privée, de souveraineté de l’UE, d’immigrants et bien plus encore.

Le cinéaste a parlé – avec l’aide de l’interprète Nicholas Elliott – avec Salon des médias, de la politique et de son nouveau film, « France ».

Ce qui m’a frappé dans votre film, c’est cette idée de ce qui est artificiel et de ce qui est réel ? Le personnage de France vit dans un monde raréfié et use de son privilège pour la manipulation et le calcul. Que pouvez-vous dire des thèmes de vérité et d’illusion du film ? J’adore la scène d’ouverture de Macron jouant lui-même dans une conférence de presse qui est à la fois vraie et fausse.

Il vous montre à quel point le faux peut générer la vérité ou la réalité. Je pense que « France » est, en effet, un film très artificiel sur un monde très artificiel — un monde numérique. Mais ce que j’essayais de faire en faisant le film, c’est de trouver le naturel au-delà de l’artifice, derrière cette chose mensongère et mensongère. Derrière l’artifice, il y a un cœur vivant, le cœur de la France, et nous tous. C’est ça qui m’intéresse, cette rencontre qu’on a dans le monde moderne, de l’artifice et de cette chose derrière, un cœur. C’est pourquoi je m’intéresse à elle en tant que protagoniste. Si elle était entièrement artificielle, je ne pense pas que je serais intéressé par elle. Ce qui est intéressant, c’est que derrière l’artifice, il y a cette personne qui bouge et qui nous touche.

Vous comparez ici les médias aux politiciens, mais vous abordez également la culture des célébrités et notre fascination pour les selfies et les autographes. Quelles observations avez-vous sur la façon dont les personnalités de la télévision, ainsi que les politiciens, les célébrités et même les cinéastes sont considérés comme des dieux dans le monde des médias sociaux d’aujourd’hui ? Il y a un fandom autour de la France, mais il y a aussi un fandom autour de personnalités, dont vous, Bruno Dumont.

Je pense qu’il y a aujourd’hui une proximité vraiment surprenante, étonnante entre le monde de l’écran numérique et le monde du cinéma. Le cinéma est une fiction qui a généré le phénomène de la star de cinéma. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est que le monde numérique répète l’écriture ou le style ou la narration du cinéma. La réalité numérique nous est racontée d’une manière qui est une fiction. Il nous parvient comme une fiction. Les politiciens sur ces écrans sont une fiction. Les journalistes sont une fiction. Dans un sens, les médias et le cinéma font la même chose. La France et Emmanuel Macron sont des stars de cinéma, ce sont des stars de cinéma dont les récits sont submergés par des écrans grands et petits.


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La France en tant que personnage est parfois énigmatique. Elle est puissante, déterminée, imparfaite et sympathique. Je pourrais argumenter que sa culpabilité ou son privilège lui font sentir qu’elle mérite une punition. Comment avez-vous conçu son personnage ?

J’ai conçu le personnage de Léa Seydoux ; car le point de départ de cette aventure fut ma rencontre avec Léa Seydoux. Il y avait deux choses : mon intérêt pour son statut de star et la femme naturelle que j’ai rencontrée. J’ai aimé son hypersensibilité et paradoxalement la simplicité qu’elle a. Il y a une vérité en elle que l’on retrouve dans la contradiction entre cette star et cette femme naturelle. J’ai basé le personnage de France sur la star de cinéma artificielle, l’héroïne artificielle dont nous parlions tout à l’heure, et tout cela est soutenu par quelque chose de simple, le quotidien de Léa Seydoux, notamment son humour. C’est une personne très drôle. Le personnage a été entièrement construit sur cette complexité et cette contradiction. J’ai l’habitude de travailler avec des comédiens naturels et non professionnels et il y a beaucoup de naturel et d’aspect non professionnel de Léa Seydoux dans la composition du personnage de France.

Faisiez-vous des illusions évidentes au pays qui partage son nom ?

Je pense que oui, le prénom est assez évocateur de tout un pays, mais c’est aussi assez accidentel. Le titre initial du film était « Par un demi-clair matin » (qui se traduit par « Un matin à moitié éclairé. ») Comme personne ne comprenait ce titre, j’ai décidé de donner au film le nom de son protagoniste, et cela a bien sûr donné c’est une connotation, ce n’est pas une mauvaise connotation, donc je n’ai aucun problème avec ça.

La France « claque » à un moment donné du film. Elle se sent coupable, elle combat la dépression et elle a une crise existentielle. Ce sont des thèmes que vous examinez dans plusieurs de vos films. Qu’est-ce qui vous pousse à explorer ces sujets, et quelles expériences avez-vous vous-même à cet égard ?

La réponse est un peu compliquée mais c’est une question compliquée. Je pense que le thème de la rédemption est l’un des grands thèmes de la culture occidentale et de l’histoire de l’art occidental. Mais ce qui m’intéresse dans ce film, c’est qu’il me permet de travailler sur la question du mal sans ôter entièrement la possibilité de la rédemption ou du bien. Sauf que toute notre tradition judéo-chrétienne est démodée et est devenue quelque peu hors de propos, ou dans le passé.

Ce que je trouve intéressant, et ce que je recherche, c’est une toute petite forme de sainteté humaine. Et je pense que c’est la trajectoire de la France. Lorsqu’elle se rend compte de la négativité ou de l’erreur de la voie sur laquelle elle se trouve, même si elle envisage pendant un certain temps d’utiliser ce qu’elle fait pour adopter une sorte d’humanisme de bas niveau – aider les sans-abri ou aider les personnes dans de mauvaises circonstances – elle abandonne cela, et elle continue simplement à être journaliste, mais c’est une journaliste qui a été élevée un peu, un minimum, et cette petite élévation vers la vraie rédemption est ce qui m’intéresse. C’est une rédemption humaine de s’élever où nous sommes. Nous n’avons pas besoin de mettre un agneau sur notre épaule et de partir à la recherche de la vérité. Nous trouvons la vérité là où nous sommes. Si je suis cinéaste, c’est pour faire de meilleurs films. Si je suis journaliste, c’est pour écrire de meilleurs articles. C’est une réflexion philosophique qui se rapporte au titre original, qui est une citation de Charles Péguy. Ce qu’il dit, c’est que nous cherchons le saint non pas dans le ciel mais ici sur terre où nous sommes.

La France subit quelques revers, tant sur le plan personnel que professionnel dans sa carrière, mais il y a des personnages, comme Danièle (Annick Lavieville), que France interviewe qui sont des contrastes intéressants. Que pensez-vous de la culture des victimes, ainsi que de la culture de l’annulation, en jeu dans la société aujourd’hui ?

Je pense que c’est une question absolument fascinante. C’est ce qu’on appelle ici en France le wokeism. C’est une culture que nous disons venue des États-Unis, et elle submerge maintenant le monde entier. Elle le fait notamment grâce au numérique. La culture numérique induit cette société de réveil par sa nature simpliste binaire. Le wokeisme est une société puritaine et destructrice qui a été reprise par les puritains, les huguenots des temps modernes qui regardent le monde de cette façon et c’est devenu une sorte de fascisme. Un fascisme du bien-pensant et, pourrait-on dire, du politiquement correct.

Le film se déroule dans ce monde de réveil. La France vit dans ce monde. Le film ressemble à bien des égards à un roman-photo, une chose très ringard et stupide, simplifiant intentionnellement. Son besoin d’amour est stupide, idiot. Elle-même est un peu stupide et idiote. Grâce à son réveil, elle se réveille, mais sa sainteté n’est pas une sainteté de réveil. Elle atteint une sainteté rudimentaire qui n’est pas du tout stupide ou idiote. Danièle comme une personne qui est dans le monde réel. Elle dit : « Si nous ne pouvons pas croire que quelqu’un qui a fait du mal puisse faire le bien, nous sommes perdus. C’est le contraire du wokeism, qui soutient que ce n’est pas possible, en fait ; si vous faites mal, alors c’est tout. Danièle, qui est dans la vérité du naturel, nous montre que l’on peut réparer le mal, et que l’on peut réintégrer le bien.

Baptiste est un catalyseur de son réveil. Vous abordez les questions du capitalisme, de la vie privée, de la souveraineté de l’UE, des immigrants, etc. Vous avez des moments idiots où la France fait des gestes grossiers alors qu’elle est sur le point de se présenter dans une zone de guerre. Que pouvez-vous dire du ton de votre film, qui est satirique, mais aussi parfois comique ?

Je pense que le film choisit de mélanger les genres. Nous avons de grands genres — comédie, romance, mélodrame, etc. Le film les mélange tous ensemble. Ce sont comme des genres qui se bousculent dans le film, et c’est une façon de représenter le grotesque de la tragédie et du sérieux. C’est-à-dire qu’il n’y a rien de grave, il n’y a rien de drôle. Tout cela est un mélange de bien, de mal, de comédie et de sérieux. C’est quelque chose qui m’intéresse d’un point de vue intellectuel. Cela m’aide à éviter de pontifier et de ne pas entrer dans un genre ou un autre.

Le président Macron et même la France parlent d’espoir pour un avenir meilleur. Mais la France ne dévoilera même pas quel est son état d’esprit politique. Votre film demande-t-il au spectateur d’être cynique envers l’avenir et les créateurs d’images qui sont censés nous donner de l’espoir ?

« France » n’est pas un film sociologique. Le personnage de la France est comme un ectoplasme filmique de nous et de qui nous sommes, et c’est dans ce monde du film de nous qui est artificiel et naturel. Ce qui est représenté en « France », ce ne sont pas les médias, c’est quoi et qui nous sommes. C’est ce que fait le cinéma — il héroïse le spectateur. La vocation de la « France » est de nous représenter tels que nous sommes, qui nous sommes. Pour le reste, je ne suis pas prophète, je ne suis pas professeur, et je ne suis pas prêtre. Mon travail en tant que cinéaste est de révéler le monde et de découvrir le monde, et à partir de là, les téléspectateurs iront voter à leur guise et tireront leurs propres conclusions. Il faut laisser le cinéma être cinéma et ne pas mélanger les choses.

« France » est dans les salles le vendredi 10 décembre. Regardez une bande-annonce ci-dessous, via YouTube.

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