Le président français Emmanuel Macron sur la guerre en Ukraine et les relations de la France avec les États-Unis – 60 Minutes


La France est le premier et le plus ancien allié de l’Amérique, offrant un soutien crucial – à la fois financier et militaire – pendant notre Révolution.

Au XXe siècle, des Américains ont combattu et sont morts sur le sol français lors des deux guerres mondiales. Et maintenant, une fois de plus, les anciens alliés se retrouvent dans un moment dynamique et dangereux avec encore une autre guerre menée en Europe.

Cette fois, le président français est Emmanuel Macron, le plus jeune de tous les temps, qui s’efforce de renforcer le rôle de la France dans le monde, tout en naviguant dans les divisions intérieures et les relations avec les États-Unis tendues par les problèmes énergétiques, commerciaux et de défense. Nous nous sommes entretenus avec lui jeudi à Blair House lors de sa visite d’État à Washington avec le président Joe Biden. Plus tôt dans la semaine, nous avons rencontré le président français à Paris à l’Elysée.

Bill Whitaker : Bonsoir Monsieur le Président.

Nous avons rencontré le président Emmanuel Macron alors qu’il se préparait pour sa deuxième visite d’État à Washington, DC – sa première avec le président Joe Biden.

Le cadre n’aurait pas pu être plus grandiose, les présidents français dirigent les affaires de l’État depuis l’Elysée depuis Napoléon III en 1848. Cette salle, le Salon doré, était l’une des préférées de Napoléon III et de sa femme, Eugénie.

Emmanuel Macron : Vous pouvez voir que le E&N est pour Eugénie et Napoléon.

Bill Whitaker : Et ça ?

C’est aujourd’hui l’équivalent français du Bureau ovale.

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Le président Emmanuel Macron fait visiter le palais de l’Elysée au correspondant Bill Whitaker

Emmanuel Macron : Et depuis de Gaulle, le bureau du président français est ici. Et c’est là que je travaille.

Bill Whitaker : C’est magnifique.

Emmanuel Macron : Et au fait, c’est quelque chose que j’ai retenu de ma première visite d’État : cette clé, c’est la clé.

Bill Whitaker : À la Bastille ?

Emmanuel Macron : A la Bastille. Et il a été apporté par Lafayette.

Bill Whitaker : Aux Américains ?

Emmanuel Macron : A George Washington. Comme vous le savez, parce que Lafayette a été très impliqué dans la Révolution américaine. Et l’original est aux États-Unis d’ailleurs. Ce n’est qu’une copie pour moi.

Emmanuel Macron est vraiment un original – un centriste déterminé à bousculer le statu quo. Sept mois après le début de son deuxième mandat, il a survécu à des manifestations de rue massives contre les coûts et les impôts élevés, a combattu des défis électoraux difficiles de la droite et de la gauche tout en dégageant un air d’optimisme juvénile.

Bill Whitaker : A 44 ans, vous êtes le haut dirigeant de l’Europe. Est-ce un ajustement confortable?

Emmanuel Macron : Oui, car on peut avoir à la fois de l’expérience et de l’énergie.

Depuis février, une grande partie de son énergie s’est concentrée sur la guerre en Ukraine. Depuis les États-Unis, cela peut sembler un monde à part. Du point de vue de Macron, c’est un feu de forêt dans le quartier.

Emmanuel Macron : La Russie a décidé, le 24 février dernier, de lancer cette guerre. Je pense qu’ils ont fait une énorme… une énorme erreur. La première était de ne pas respecter le droit international et– et– et de violer tous les principes qu’ils– ils ont signés. Et– et c’est un tueur pour leur crédibilité. Et deuxièmement, parce qu’ils ont probablement fait beaucoup d’erreurs en termes d’évaluation de leurs propres capacités et des capacités ukrainiennes. Et maintenant, ce qui se passe, c’est que depuis, disons, septembre, ils ont décidé de bombarder de nombreuses infrastructures civiles. Et leur perspective est de désespérer les Ukrainiens et de leur rendre la vie impossible pendant cet hiver.

Bill Whitaker : Vous avez dit qu’attaquer des infrastructures civiles est un crime de guerre.

Emmanuel Macron : C’est un crime de guerre.

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Emmanuel Macron

Le président Macron avait espéré empêcher tout cela avec sa propre navette diplomatique l’hiver dernier, en se rendant à Moscou pour rencontrer en tête-à-tête le président Vladimir Poutine.

Bill Whitaker : Et il semblait que vous pensiez pouvoir le dissuader.

Emmanuel Macron : En effet, c’est vrai. Je pensais qu’il était possible d’éviter la guerre à l’époque.

Pourtant, Emmanuel Macron est déterminé à maintenir un dialogue ouvert avec le président Poutine.

Emmanuel Macron : J’entretiens toujours des échanges réguliers et un contact direct avec le président Poutine, car– je crois que le meilleur moyen de– se réengager est de préserver cette voie directe. L’isolement est– est la pire des choses, surtout pour– un leader comme lui.

Bill Whitaker : Isolement ?

Emmanuel Macron : Isolement.

Bill Whitaker : Déjà, la guerre a fait monter en flèche les prix de la nourriture et de l’énergie. Combien de temps le soutien occidental illimité à l’Ukraine peut-il durer ?

Emmanuel Macron : Je pense qu’il est extrêmement important que nous tous, c’est-à-dire les Européens, les Américains et le maximum de pays dans le monde, soutenons l’Ukraine. Il est clair que la Russie, et en particulier le président Poutine, a décidé de militariser au moins l’énergie et la nourriture, créant beaucoup de pénuries, de volatilité et d’inflation. Et je pense que son pari est une fatigue de guerre et une fatigue de sanction.

Bill Whitaker : Alors, comment cela se termine-t-il ?

Emmanuel Macron : Je pense qu’il est important de faire passer le message que ce sont les Ukrainiens qui en décident, le seul moyen de trouver une solution serait par la négociation. Je ne vois pas d’option militaire sur le terrain.

Le président français aborde la diplomatie et la politique avec une logique froide, mais génère souvent de la chaleur. À la veille de son voyage à Washington, il nous a dit qu’il serait direct avec le président Biden, comme il l’était lorsqu’ils se sont rencontrés au début de la présidence de M. Biden.

Bill Whitaker : M. Biden a dit que, lors de sa première réunion du G7 en tant que président, il est entré dans la salle et a dit : « Les États-Unis sont de retour. Et que tu as dit : « Mais pour combien de temps ? » Vous doutez que les États-Unis soient un allié cohérent et fiable ?

Emmanuel Macron : Si je regarde le XXe siècle, je n’ai absolument aucune raison d’avoir le moindre doute sur la position des États-Unis lorsque notre liberté et nos valeurs sont en jeu. Mais quand vous regardez la période récente, certains changements d’administration ont eu un impact important sur le changement climatique, sur l’Iran, sur d’autres problèmes.

Bill Whitaker : Vous voulez dire l’administration Trump ?

Emmanuel Macron : Oui. Donc mon point est juste que je veux que nous soyons des alliés, je veux que nous soyons amis, je veux que nous soyons des partenaires. Je veux m’engager avec les États-Unis mais je ne veux pas être dépendant. Et je pense que c’est très important, car imaginez, de votre côté, accepteriez-vous en tant que citoyen américain de dire : « Ma sécurité, mon… mon avenir dépendra d’une élection en France ? » Non, je ne peux pas imaginer.

Bill Whitaker : Vous pensez qu’il doit y avoir une resynchronisation des relations. Comment les relations ont-elles été désynchronisées ?

Emmanuel Macron : Je pense que cette administration et le président Biden personnellement sont très attachés à l’Europe. Mais quand on regarde la situation aujourd’hui, il y a bien une désynchronisation. Pourquoi? Énergie. L’Europe est… un acheteur de gaz et de pétrole. Les États-Unis sont un producteur. Et quand on regarde la situation, nos industries et nos ménages n’achètent pas au même prix. Il existe donc un écart important impactant le pouvoir d’achat et la compétitivité de nos sociétés.

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Avec la réduction drastique du gaz naturel russe, l’Europe achète davantage aux États-Unis, mais à un prix jusqu’à six fois supérieur à celui que paient les Américains. Ceci, à un moment où l’inflation et le chômage en France oscillent autour de 7%.

Bill Whitaker : Vous avez dit que ce n’est pas ainsi que se comportent les amis.

Emmanuel Macron : Oui, nous sommes m– très engagés ensemble dans cette guerre pour les mêmes principes. Mais le coût de cette guerre n’est pas le même, des deux côtés de l’Atlantique. Et vous devriez– vous devriez en être très conscient.

Le président Macron évoque également la loi sur la réduction de l’inflation, ou IRA, une nouvelle législation conçue pour développer les emplois verts aux États-Unis avec des subventions et des crédits d’impôt pour les voitures électriques et la fabrication d’énergie propre en Amérique du Nord.

Emmanuel Macron : Mais ils sont, en ce moment même de la guerre, un tueur pour notre industrie…

Bill Whitaker : Un tueur pour votre industrie ?

Emmanuel Macron : Bien sûr. Les États-Unis ont décidé il y a deux mois et demi de subventionner beaucoup plus de grands projets nouveaux et verts, ce qui signifie pour la batterie, pour l’hydrogène, pour beaucoup de choses. Le niveau des subventions est désormais deux à trois fois plus élevé aux États-Unis qu’en Europe. Nous sommes totalement alignés dans ce conflit. Nous travaillons dur. Et je pense que si le lendemain du conflit, le résultat est d’avoir une Europe plus faible parce qu’une grande partie de son industrie aura été tuée. Je crois que ce n’est pas l’intérêt de l’administration américaine et même de la société américaine. Je pense que l’intérêt principal est évidemment de protéger vos classes moyennes, ce qui est très juste. Je… je fais la même chose pour mon pays. Et c’est pour être compétitif vis-à-vis de la Chine. Mais le résultat de la récente décision sur cet élan, je dirais, c’est que c’est mauvais pour l’Europe.

Le président Macron a fait part de ces préoccupations à la Maison Blanche jeudi dernier.


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Après la pompe et l’apparat, les deux présidents se sont retirés dans le bureau ovale et la salle du Cabinet, ont discuté des problèmes du monde pendant deux heures et en sont sortis unifiés.

Joe Biden : La France est l’un de nos partenaires les plus solides. Nous partageons les mêmes valeurs et relèverons tous les défis ensemble.

Après avoir rencontré des membres du Congrès et une demi-heure avant de se rendre au dîner d’État, le président Macron s’est entretenu avec nous à Blair House, la maison d’hôtes présidentielle.

Bill Whitaker : Comme nous parlions à Paris, vous êtes un homme qui aime être direct et regarder quelqu’un dans les yeux. Vous êtes donc assis en face du président Biden. Que lui avez-vous dit sur les défis que la loi sur la réduction de l’inflation inflige à votre pays et à votre peuple ?

Emmanuel Macron : Nous avons eu une très bonne discussion franche et fructueuse. L’intention du président Biden est de rendre son pays plus fort, de créer des emplois ici, de se réindustrialiser, et en même temps de s’attaquer aux problèmes de changement climatique, et de construire plus d’industrie verte dans votre pays. Je partage cet objectif. Je respecte cet objectif. Et devine quoi? J’ai exactement la même chose pour mon pays.

Bill Whitaker : Lors de la conférence de presse, il a semblé que vous étiez tous les deux d’accord pour être en désaccord ou au moins pour continuer à parler. Ce que nous disons aux États-Unis, c’est qu’il semble que vous ayez tous les deux décidé d’abandonner.

Emmanuel Macron : Non. Je ne pense pas, honnêtement. Ce n’est pas un accord d’être en désaccord. Il s’agit d’un accord stratégique. Et je pense que nous partageons maintenant beaucoup plus en profondeur notre stratégie des deux côtés.

Bill Whitaker : Mais vous nous avez dit à Paris que la loi sur la réduction de l’inflation tue l’industrie, tue l’emploi.

Emmanuel Macron : Pour l’Europe.

Bill Whitaker : Pour l’Europe. Et avec un chômage et une inflation en France oscillant autour de 7%, il semble urgent de trouver une solution ici.

Emmanuel Macron : Je confirme. C’est pourquoi je peux vous dire que ce que nous avons décidé avec le président Biden, c’est justement de régler ce problème. Et ils sont réparables.

Bill Whitaker : Qu’est-ce qui peut être corrigé ? Il a dit qu’il pouvait penser à quelques– quelques ajustements.

Emmanuel Macron : Oui.

Bill Whitaker : Quelques ajustements. Est-ce suffisant?

Emmanuel Macron : Mon propos est de dire qu’il était urgent de soulever cette question. Je l’ai fait. Il était urgent d’en discuter en profondeur, ce que nous avons fait ensemble ce matin. Il est urgent d’y remédier. On peut le faire.

Bill Whitaker : Vous êtes le politicien le plus important en Europe en ce moment. Alors, quand vous retournez en Europe, que dites-vous à vos partenaires européens ? Cette visite d’État a-t-elle été un succès ?

Emmanuel Macron : Oui, certainement. Premièrement, parce que nous avons confirmé notre alignement total sur la situation ukrainienne. Deuxièmement, nous avons eu une discussion très fructueuse et approfondie sur ce contexte IRA et les effets secondaires. Et nous y remédierons à court terme. Troisièmement, nous avons eu beaucoup de convergence sur le changement climatique, la santé, la sécurité en Afrique et beaucoup de projets. Donc pour moi, c’est une très bonne visite d’État avec beaucoup de résultats très positifs, je peux vous le dire.

Produit par Marc Lieberman et Cassidy McDonald. Associés de diffusion, Eliza Costas et Natalie Breitkopf. Edité par Sean Kelly.

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