La vie juive en Europe peut-elle recommencer à « prospérer » ?


Des drapeaux de l’Union européenne flottent devant le siège de la Commission européenne à Bruxelles, en Belgique, sur cette photo d’archives prise le 28 octobre 2015. REUTERS/Francois Lenoir/File Photo

JNS.org – La branche exécutive de l’Union européenne, la Commission européenne, a dévoilé la semaine dernière une stratégie de neuf ans pour lutter contre l’antisémitisme et favoriser la vie juive parmi ses 27 États membres. Quelques heures après sa publication, la stratégie avait reçu les éloges généreux des dirigeants d’organisations juives, le chef du Congrès juif européen (EJC), Moshe Kantor, saluant le document de 26 pages comme un « document sans précédent et vital qui agira comme un feuille de route pour réduire considérablement l’antisémitisme en Europe et au-delà.

Un tel optimisme est-il justifié ? À certains égards, il ne sera pas possible de répondre de manière exhaustive à cette question avant 2030, date à laquelle les divers programmes et initiatives actuellement lancés par la commission seront prêts pour une évaluation approfondie. Mais on peut dire que la stratégie contient des idées encourageantes, que sa compréhension de ce qu’est l’antisémitisme est nuancée et sophistiquée, et que l’équipe derrière la stratégie — je pense en particulier à Katharina von Schnurbein, coordinatrice de la commission sur la lutte contre l’antisémitisme — est profondément engagé à extirper la plus vieille haine du monde du continent qui lui offre le sol le plus fertile.

C’est la définition de travail de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) qui sous-tend l’évaluation par la commission de la situation en Europe et des obligations morales et juridiques des États membres lorsqu’il s’agit de protéger la vie juive dans l’UE. Au total, les communautés juives à travers l’UE comptent 1,5 million de personnes (un nombre épuisé par le Brexit, d’ailleurs, qui a sorti les 300 000 Juifs du Royaume-Uni de l’orbite de l’UE). Ce sont ces individus et ces communautés que la commission souhaite voir – comme sa présidente, Ursula von der Leyen, l’a dit – « prospérer à nouveau ».

La définition de l’IHRA est suffisamment complète pour identifier diverses expressions d’antisémitisme, y compris celles qui se cachent derrière la haine du sionisme et d’Israël. Que la commission reconnaisse formellement cette réalité est une étape positive et conforme aux déclarations au fil des ans d’un certain nombre de dirigeants européens – parmi lesquels le président français Emmanuel Macron, la chancelière allemande sortante Angela Merkel et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte – que le public doit méfiez-vous d’un antisémitisme qui se fait passer pour une juste croisade contre le racisme ou pour les droits des Palestiniens.

De plus, la stratégie reconnaît qu’Israël est un « partenaire clé » de l’UE, y compris dans la lutte contre l’antisémitisme, et il ne fait aucun doute que le genre de déclarations sur Israël que l’on entend sur les campus universitaires de l’UE, comme ici aux États-Unis Les États – que l’État juif est une « entreprise raciste », que les Juifs du monde entier portent la responsabilité de ses crimes présumés – tombent sous la rubrique de l’antisémitisme.

C’est aussi un pas en avant important car il n’en a certainement pas toujours été ainsi. Il y a exactement 41 ans, quatre personnes étaient tuées et 46 autres blessées lors d’un attentat contre la synagogue de la rue Copernic à Paris perpétré par des terroristes palestiniens. Dans la foulée, le Premier ministre français de l’époque, Raymond Barre, a dénoncé ce qu’il a qualifié d’attaque « odieuse » visant « des Juifs se rendant à la synagogue » qui a frappé « des Français innocents alors qu’ils traversaient la rue Copernic ». Lorsqu’il a tracé cette division entre les « Juifs » et les « Français », Barre ne parlait pas dans le vide. Beaucoup de ses collègues ont ressenti la même chose, et il y avait des sentiments antisémites similaires ailleurs dans les cercles dirigeants des pays européens en général, en particulier dans leurs ministères des Affaires étrangères, qui auraient presque tous rechigné à la suggestion, à un moment où l’influence de le lobby pétrolier arabe était très redouté, décrivant Israël comme un « partenaire clé ».

La stratégie de la commission indique que de tels préjugés n’ont pas leur place dans la pensée actuelle des organes directeurs de l’UE. La série d’accords de paix de l’année dernière entre Israël et plusieurs nations arabes aura certainement aidé ce processus, dans la mesure où il n’y a plus un bloc d’États arabes que l’UE estime devoir apaiser sur la question d’Israël.

Pourtant, le fait que l’UE ait une compréhension bien meilleure de ce qu’est l’antisémitisme et comment l’identifier n’entraînera probablement pas, malheureusement, la réduction radicale de l’antisémitisme que les auteurs de la stratégie espèrent. Cela ne veut absolument pas dire que les programmes éducatifs, la formation sur les crimes haineux, les projets de commémoration de l’Holocauste et les expériences de vie juives que la stratégie va déployer au cours des neuf prochaines années sont sans valeur ; tout ce qui ébranle l’attrait de la haine des Juifs dans l’imagination du public doit être bien accueilli. Mais aucun gouvernement national, et aucun organisme transnational, ne peut exercer un contrôle total sur ce qui se passe dans une société libre.

Comme la pandémie de COVID-19 l’a clairement démontré, l’antisémitisme à l’ancienne qui dépeint les Juifs comme les empoisonneurs de puits s’est associé à un antisémitisme beaucoup plus récent qui s’approprie le langage et l’imagerie de l’Holocauste pour plaider en faveur du refus du vaccin. En plus de cela, en mai et juin de cette année, les pays de l’UE, ainsi que le Royaume-Uni, ont résonné au son de manifestations pro-palestiniennes qui ont ouvertement vilipendé les Juifs, alors que les incidents antisémites montaient en flèche.

Comme la stratégie de la commission le comprend très bien, la technologie des communications de masse a été essentielle pour maintenir en vie les mèmes antisémites que nous voyons se manifester sous une forme physique dans les rues. Au cours de la prochaine décennie, cette technologie deviendra plus sophistiquée et plus attrayante, encourageant les gens à passer encore plus de temps en ligne dans des contextes améliorés par des outils de réalité virtuelle. Dans la nouvelle itération d’Internet qui se cristallise, il y aura de nouvelles opportunités pour les antisémites de se faire connaître et de répandre la doctrine selon laquelle chaque fois qu’une crise frappe – une pandémie, une guerre au Moyen-Orient, une guerre en dehors du Moyen-Orient, un gouvernement défaut, un krach boursier – les Juifs sont à blâmer.

Emmener des adolescents dans des synagogues, des musées juifs et des sites de camps de concentration pourra-t-il rivaliser avec les messages qui seront diffusés en ligne, et peut-être renforcés par des amis ou la famille ? Le fait de rappeler aux Européens ordinaires la contribution juive à leur culture isolera ces mêmes personnes des messages antisémites qu’ils voient en ligne et sur les téléphones, ou parmi les manifestants pro-palestiniens exhortant au boycott des produits israéliens en dehors des supermarchés locaux, ou des refus de vaccins habillés en concentration uniformes de camp?

La supposition sage est, probablement pas. De l’évidence jusqu’à présent, les années 2020 s’annoncent comme une décennie marquée par l’aggravation des divisions dans les sociétés européennes, en particulier parmi les nombreux partis politiques et électeurs qui ne veulent de toute façon rien avoir à faire avec l’UE. L’antisémitisme prospère dans les régimes divisés. Ainsi, avec la publication de la stratégie de la commission, nous pouvons dire que l’UE a changé, mais ne présumons pas que toute l’Europe suivra.

Ben Cohen est un journaliste et auteur basé à New York qui écrit une chronique hebdomadaire sur les affaires juives et internationales pour JNS.



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