La marque audacieuse de Macron est aussi une vulnérabilité


L’élection présidentielle française est à perdre pour Emmanuel Macron. Mais les forces de division de l’extrême droite sont en marche dans une lutte qui résonnera dans toute l’Europe, écrit Simon Tisdall.

L’élection « tournante » de l’Allemagne ? Bâiller. Pour un concours vraiment stimulant, l’Europe doit se tourner vers la France, où les niveaux de bruit avant le scrutin augmentent rapidement. Le débat politique va du repoussant au bizarre.

Les questions qui comptent le plus pour les citoyens de l’UE et du Royaume-Uni – nationalité, migration, climat, coût de la vie, place dans le monde – font l’objet d’un examen brutal. Pour les électeurs flottants en colère contre les guerres de poisson anglaises, il y a même, potentiellement, un président Poisson.

À une époque d’élections prévisibles, gérées et manifestement truquées, le dénouement démocratique imminent de la France est rafraîchissant et emblématique. Alors que le concours présidentiel d’avril est au centre de l’attention, la question de l’identité domine. Que signifie, de nos jours, être français ? Qui appartient – ​​et qui n’en fait pas partie ? La France est-elle une puissance mondiale ou un simple parc à thème culturel pour les touristes chinois ?

C’est une énigme profondément familière aux Britanniques. Alors que la France, contrairement au Royaume-Uni, ne fait face à aucune menace sécessionniste immédiate, elle souffre de divisions sociales, économiques, raciales et géographiques internes similaires – ainsi que d’une gueule de bois impériale. La tendance d’extrême droite, xénophobe, nationaliste-populiste commune aux deux pays y trouve une expression publique plus puissante. À une certaine époque, Jean-Marie Le Pen du Front national et sa fille Marine détenaient le monopole du sectarisme. Maintenant, c’est un moche pour tous.

Le nouveau champion de la haine est Eric Zemmour, une célébrité d’une émission de discussion télévisée comparée à Donald Trump et Nigel Farage. Il réclame la « refrancisation » de la France. « Il faut dire aux Français d’origine immigrée de choisir qui ils sont », a-t-il déclaré le mois dernier. Les Français « se sentent colonisés… et ont une peur existentielle de disparaître ». Zemmour veut interdire les prénoms non français, les foulards islamiques et bien d’autres choses encore.

Bien qu’il n’ait pas encore annoncé sa candidature, les gros titres de Zemmour sapent Marine Le Pen, qui a lancé son troisième défi présidentiel le mois dernier sous la bannière soi-disant fumigée du Rassemblement national. Luttant pour reprendre l’initiative, elle promet un référendum national pour freiner « drastiquement » l’immigration, en partie en abandonnant la liberté de circulation de l’UE et en refusant l’asile.

Le Pen reste favori, à ce stade, pour remporter une place au deuxième tour contre le président centriste sortant, Emmanuel Macron, dans une répétition de l’élection de 2017. Macron l’a alors facilement emporté avec 66% des voix et devrait le faire à nouveau. Mais si la désillusion, associée à des défections à Zemmour, divise le vote d’extrême droite, un candidat de centre-droit plus attractif pourrait s’emparer de la place au second tour. Un tel scénario constitue une réelle menace pour Macron.

Le problème, c’est que le centre droit, représenté par le parti conservateur Les Républicains, ne s’est pas encore mis d’accord sur un candidat. Xavier Bertrand, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, mène le peloton, suivi de près par Valérie Pécresse, présidente du conseil en Ile-de-France. Ensuite, il y a Michel Barnier, le négociateur de l’UE pour le Brexit qui est probablement plus connu en Grande-Bretagne qu’en France profonde. Mais rien n’est décidé.

Tout de même, si le centre droit finit par se rallier à un candidat, si ce candidat est soutenu par un vote de parti en décembre, et si l’on évite un effondrement de campagne similaire à celui qui a bouleversé François Fillon en 2017, il y a de bonnes raisons de croire Macron pourrait faire face à un adversaire de deuxième tour qui, contrairement à Le Pen, a une chance réaliste de le battre. C’est beaucoup de « si ». Mais beaucoup de choses pourraient changer.

Quoi qu’il arrive à droite, il semble que Macron n’ait pas à craindre la gauche. Le discours aéré d’un renouveau social-démocrate à travers l’Europe après la mince victoire du SPD en Allemagne ignore les réalités politiques françaises. Divisé comme toujours en factions, le choix à gauche va d’Anne Hidalgo, maire du Parti socialiste de Paris, aux communistes, aux trotskystes et au franc-tireur de gauche Jean-Luc Melenchon, leader de La France Insoumise.

Si la gauche française, au sens large, et les Verts s’unissaient derrière un candidat à la présidentielle, elle pourrait en théorie gagner suffisamment de voix pour s’assurer un second tour et battre Macron. Mais cela n’arrivera tout simplement pas. La principale inquiétude de Macron à cet égard est que beaucoup de gens de centre gauche soutiendront plus volontiers un candidat de centre-droit au second tour, plutôt que lui, si Le Pen a déjà été éliminé.

Le dernier sondage quotidien du Figaro prévoit 25 % de soutien au premier tour pour Macron, suivi de 19 % pour Le Pen, 15 % pour Bertrand, 13 % pour Pécresse et 10 % pour Melenchon. Un sondage la semaine dernière a mis Zemmour à 13%. Malheureusement, Jean-Fredric Poisson, un autre espoir de droite, patauge. Donc malgré tout, l’élection reste à Macron à perdre. Le soufflera-t-il ?

Ces dernières semaines, Macron a été frappé par un œuf et giflé au visage lors de tournées « rencontrer les gens ». Il a été confronté à la misère des exclus et à la colère viscérale non éteinte qui imprégnait les gilets jaunes. Il lutte pour concilier son vœu de défendre les valeurs laïques et d’éradiquer le « séparatisme » islamique avec une vision d’un pays en paix avec ses différents aspects raciaux, religieux et culturels. La pandémie pourrait produire plus de pièges.

Macron parle aussi d’un grand jeu sans surveillance sur la France dans le monde. Pour lui, la question de l’identité est aussi liée au statut de la nation en tant que leader de l’Europe et puissance respectée en Afrique et dans l’Indo-Pacifique. Ainsi, le complot américano-britannique du mois dernier visant à torpiller une vente de sous-marin de prestige à l’Australie s’est soldé par une humiliation personnelle. Cela lui donnait l’air idiot, la France avait l’air faible – et, pire encore, hors de propos.

À l’instar de la débâcle des sous-marins, de nombreux autres problèmes au pays et à l’étranger pourraient encore lui exploser au visage avant avril prochain. Ils pointent du doigt la fragilité au cœur de la présidence Macron. Sa marque particulière d’hyper-politique audacieuse et hautaine, qui a apporté une gloire inattendue en 2017, est également une vulnérabilité. Les ennemis politiques peuvent ne pas le détrôner. Mais finalement, cela peut ne pas avoir d’importance. Mercurial Macron a sept mois pour se vaincre avant que la guillotine ne tombe. Accrochez-vous à votre chapeau.

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