La France de Bruno Dumont est une critique convaincante, quoique alambiquée, de la culture des célébrités


« Oubliez un avenir meilleur, le progrès, les idéaux… tout est mort. C’est ce qui nous fait souffrir. Seul le présent demeure. Ici et maintenant. Oubliez toutes les attentes. Ne remettez pas le présent à plus tard.

Pendant plus de deux minutes du monologue final de La France, dernier effort de Bruno Dumont, Léa Seydoux fixe la caméra en cillant à peine, cerne sous ses yeux. On pourrait aisément imaginer de telles divagations philosophiques entonnées en timbre teutonique par Werner Herzog, ou enfouies dans les polémiques affirmatives de Friedrich Nietzsche. Au lieu de cela, ils concluent un discours que le personnage principal du film fait à son ex-amant après qu’il l’a trahie. « Depuis, j’ai connu des peines pires », lui dit-elle stoïquement lorsqu’il demande pardon. « Celui-ci est trivial. La vie met les choses en perspective.

On peut dire que seul Bruno Dumont pouvait s’en tirer en réalisant un drame satirique de plus de deux heures sur la France, intitulé La France, représentant une héroïne ironique nommée France de Meurs. Et sûrement peu mais Seydoux pourrait rester aussi captivant à l’écran dans un film qui, malgré toute sa parodie cinglante des médias d’information dans ses deux premiers tiers, se prosterne finalement devant les bathos. France de Meurs est la journaliste de télévision la plus en vogue du pays, connue autant pour ses ripostes pleines d’esprit aux politiciens rivaux à l’heure du journal télévisé du soir, Une vision du monde, comme elle l’est pour la couverture décousue des troubles mondiaux. Sa vie prête pour Insta implose lorsqu’elle heurte accidentellement un motocycliste après avoir déposé son fils à l’école. « Est-ce que ça va? » demande-t-elle en abandonnant sa berline au milieu de la circulation. « Où est-ce que ça fait mal? » Un policier arrive en quelques secondes, tout comme les passants munis de smartphones, impatients d’attraper la journaliste préférée des Français devenue sa propre manchette.

Léa Seydoux dans La Franceréalisé par Bruno Dumont, 2021

D’un réalisateur effronté peut-être mieux connu pour son récent diptyque Jeanne d’Arc, une grande partie de La France poursuit la tradition de Dumont de célébrer et d’interroger la République pour ses contradictions persistantes. A la fois soi-disant femme du peuple et membre bien coiffée des paillettes parisiennes, de Meurs transforme son accident de voiture, et l’imbroglio médiatique qui s’ensuit, en un spectacle de rédemption qui ne fait qu’améliorer son image publique. « On regarde tous les jours à la télé », jaillit la mère de Baptiste (Jawad Zemmer), la victime, qui est en convalescence à l’hôpital avec une rotule luxée quand France et son assistante, Lou (Blanche Gardin), lui rendent visite avec des fleurs. « C’est un honneur. » Lorsqu’on lui demande dans un talk-show télévisé comment va le jeune homme, France fond en larmes, et il est difficile de dire si son regret est sincère ou mis en scène – ou si, pour son personnage, il y a même une différence.

C’est autour de ce point que le ton du film passe du snark ludique au drame lourd. La France quitte son emploi de spécialiste de la télévision et s’enfuit dans un sanatorium de luxe dans les Alpes pour réfléchir au sens de la vie, période pendant laquelle elle tombe amoureuse de Lolo (Marc Bettinelli), qui semble charmante à l’abri de ses charmes de célébrité. Lui donnant spontanément une sérénade lors d’une promenade enneigée avec un chant latin médiéval sur «la fin du monde», Lolo offre tout ce que le mari romancier raide de la France ne peut pas: jeunesse, sincérité et, surtout, évasion.

Léa Seydoux dans La Franceréalisé par Bruno Dumont, 2021

De retour à la vie domestique dans son immense appartement, France décide de revenir au journalisme télévisé, mais non sans une série d’échecs très publics qui la laissent tout remettre en question, tant sur le plan personnel que professionnel. Si le film s’était terminé ici – Lou rassurant son patron qu’après son dernier fiasco en matière de relations publiques, « Vous vous relèverez en tant qu’héroïne » – la critique de Dumont de l’hypocrisie et du carnage psychologique inhérents à la fois à la culture médiatique de son pays et au sens large aurait résonna plus puissamment. Ce qui suit semble être une tentative d’apogée qui semble presque exagérée, menant à 30 minutes souvent laborieuses sur la tragédie de l’existence humaine.

La France n’est peut-être pas un grand film, mais ses faiblesses narratives et tonales mettent en relief à quel point Seydoux est fort en tant que son cœur battant, à quel point elle s’adapte physiquement et expressivement lorsqu’elle est jetée dans des contextes divergents. En escaladant une falaise dans un pays sans nom déchiré par la guerre, elle ordonne à ses caméramans de se mettre en mouvement – ​​« Faites-moi les photos ! Je veux les ruines ! – seulement pour simuler des larmes alors qu’elle rend compte d’une bataille à l’étranger. « Partout où nous allons, les images de la guerre sont les mêmes. Ceux de la tragédie et de la désolation. À l’écran, l’actrice a rarement la même apparence, optimisant ses prouesses en matière de changement de forme – tour à tour larmoyante et larmoyante, effrontée et séduisante, manipulatrice et introspective. « Monsieur. Monsieur le Président, on peut s’interroger sur l’état insurrectionnel de la société française », insiste-t-elle sobrement depuis le premier rang d’une conférence de presse en scène d’ouverture. « Êtes-vous insouciant ou impuissant ? » Dans le plan suivant, elle fait un clin d’œil à Lou, qui imite de manière ludique le sexe oral depuis le fond de la pièce, se moquant de la réponse majestueuse de Macron.

Léa Seydoux dans La Franceréalisé par Bruno Dumont, 2021

Les scènes les plus convaincantes du film sont peut-être celles où les préoccupations politiques de Dumont sont le plus clairement en jeu. « Qu’est-ce que le capitalisme ? » pose un homme en smoking grêle à sa table lors d’une collecte de fonds à laquelle la France est invitée. « Le capitalisme est le don de soi aux autres. Cela signifie lutter pour les vertus, à la fois morales et spirituelles », répond-il au tintement des flûtes à champagne. Le visage vide de France perturbe le chœur des hochements de tête autour d’elle. Alors qu’elle s’enfuit vers la salle d’eau, une mondaine en fourrure interroge si « Madame de Meurs est de gauche ou de droite? » « Quelle différence cela fait? » est la réponse de Seydoux, regardant par-dessus son épaule pailletée.

« Elle sait qu’elle fait partie du système capitaliste », a déclaré l’acteur au New York Times sur son personnage éponyme. « Mais elle est consciente du fait qu’elle est aussi un outil du système. Et elle est consciente de sa propre aliénation. Malgré tout le cynisme de Dumont, Seydoux apparaît comme étonnamment sincère. Si la rédemption est finalement futile dans La Francela virtuosité à l’écran de sa star rend le film digne d’être vu.

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