« Je reviens comme un rookie »


Au téléphone, la voix de Mamadou Dia s’emballe. Une teinte d’euphorie, mêlée d’une vraie dose de surprise, c’est donc à ça que ça ressemble à un retour dans le circuit professionnel à 42 ans et 341 jours, presque 22 mois après l’avoir quitté. De quoi faire de lui le seul quadragénaire de LNB avec son coéquipier Karim Atamna, en attendant Mohamed Koné (Vichy-Clermont) la semaine prochaine puis Amara Sy, fin août, encore tout étonné de devoir faire face à son pote de « La Fusion » samedi à Parsemain.

Car après s’être fait plaisir en NM2 pendant deux saisons tronquées sous les couleurs de Sapela, où il a grand prouvé qu’il en avait encore sous la semelle (10,7 points de moyenne en 23 rencontres), l’intérieur franco- sénégalais va retrouver la pression du professionnalisme dès ce week-end contre le Paris Basket. Doté d’une vraie armada pour la Pro B, vainqueur de la Leaders Cup en novembre, Fos-Provence n’a jamais caché son ambition de renouer avec la Jeep ÉLITE dès cette année. C’est dans cette optique que Rémi Giuitta a fait appel à son ex-capitaine pour une mission à durée déterminée jusqu’au mois de juin: avec le rythme infernal qui s’annonce (25 matchs restants à disputer) et une infirmerie déjà bien remplie (Jaraun Burrows, Bodian Massa, Sullivan Hernandez), un joueur supplémentaire ne peut pas faire de mal, surtout quand il connait aussi bien la maison … Le technicien marseillais aime raconter que Mamadou Dia a débarqué à Fos-sur-Mer en 2005 après un accord conclu dans une boîte de nuit lyonnaise. Seize ans après, les discothèques sont fermées mais une quinzième étoile s’apprête à figurer sur le maillot du maire …

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11 octobre 2019, le néo-retraité Mam ‘Dia assiste à Fos – Paris en tribunes. Déjà de l’histoire ancienne …
(photo: Sébastien Grasset)

Mamadou, quand on a reçu le communiqué de Fos-Provence, on a vérifié …

(il coupe) Qu’on n’était pas le 1er avril? (il rit) Mais oui, j’ai vraiment signé, ce n’est pas une blague. Je suis comme vous, même moi ça me surprend.

Comment s’est-il concrétisé ce retour?

En fait, au vu de tous les soucis physiques du moment dans l’équipe, le coach m’a appelé pour me demander si je pouvais venir m’entraîner avec eux. Ça faisait un certain temps qu’il voulait que je vienne d’ailleurs mais moi, j’avais tourné une page. Je suis allé en NM2 pour me faire plaisir. Le haut-niveau, les contraintes, c’était terminé, j’étais arrivé à saturation. Mais quand Rémi m’a expliqué la situation, j’ai senti comme une obligation de venir. Fos, c’est quand même ma maison: s’il faut vraiment aider, je viens en courant. J’ai commencé lundi dernier, j’ai fait une semaine d’entraînements et il y avait un match amical samedi à Saint-Vallier. Ça se passe bien là-bas et après coup, Rémi me dit qu’il aimerait bien que je vienne vraiment donner un coup de main pour le championnat … Tout le monde sait que le calendrier qui arrive est chargé. Le coach m’a demandé ce que j’en pensais et moi, j’étais comme un puceau, je n’y croyais pas. Je pense qu’il joue à la carte de la sécurité, on ne sait jamais ce qui peut se passer avec l’enchaînement des rencontres et les blessures éventuelles. Voilà, vu la situation, je n’ai même pas réfléchi. Alors qu’un autre club, même pas en rêve. Tout l’argent du monde, c’est non direct. Là, c’est autre chose, c’est un nouveau défi, c’est super excitant. Ça m’a fait du bien d’être avec eux, j’ai redécouvert le haut niveau. Il n’y avait rien de nouveau, tout est déjà ancré en moi, les systèmes, la philosophie du coach … Je ne suis pas dépaysé quoi.

«On est sur Netflix ou c’est vraiment vrai? »

Tout s’est déroulé extrêmement rapidement alors …

Mais oui, c’est pour ça que je ne réalise toujours pas alors qu’on parle là. Chaque jour un peu plus mais toujours pas complètement. Samedi, à l’échauffement, quand je verrai Amara et Nobel en face, je vais peut-être halluciner (il rit). Après, vous savez, Rémi ne m’a jamais fait de cadeaux. Ça me rappelle mon dernier match contre l’ASVEL, je pleurais et je le remerciais. Il a été dur avec moi mais pourtant, nous sommes très proches. Il me connaît par cœur. Moi, si vous me faites des cadeaux, si vous me dites que je suis le meilleur, vous me perdez. Du coup, il m’a toujours crié dessus, m’a parlé comme un enfant mais j’ai besoin de ça pour avancer. Donc demain, si je fais une connerie, je sais qu’il va me gueuler dessus. Il va me regarder d’une façon dont je vais avoir honte et je vais tout faire pour que ça n’arrive pas. Le fait d’aussi bien se connaître est un vrai avantage. La question qu’il pouvait avoir, c’est mon état de forme, si j’ai toujours l’énergie ou l’envie.

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18 mai 2019, le vrai-faux dernier match, plein d’émotions, de Mamadou Dia contre l’ASVEL
(photo: Panier Fos-Provence)

Et alors? Vous avez encore tout ça?

Oui. Depuis Feurs, j’ai tellement donné au panier qu’à la fin, j’en étais arrivé à un stade de saturation mentale absolu. La longévité, c’est bien, mais à un moment donné, ce n’était plus possible. Les deux ans avec Sapela m’ont fait le plus grand bien, m’ont permis de reprendre plaisir. J’aimerais leur dire un énorme merci car cela n’aurait pas été possible sans eux. Ça m’a régénéré, je reviens avec un poids en moins. J’apprécie les entraînements, c’est un bonus, je kiffe quoi. Ça faisait très longtemps que je n’avais pas connu cette sensation. C’est un autre défi, comme je n’ai jamais connu dans ma vie, et j’aime bien ça. J’ai faim. On m’attend et je sais comment ça va se passer dans le scouting des autres équipes: « il a 43 ans ». Les gamins vont se dire qu’ils vont aller me tomar dessus. J’ai besoin de ça mais on en reparlera plus tard (il sourit).

On sent vraiment l’enthousiasme dans votre voix …

Complètement! Je suis une nouvelle personne. Même tout seul, chez moi, je suis excité. Je suis là à me demander ce qui m’arrive. On est sur Netflix ou c’est vraiment vrai?

Vous êtes prêt à assumer un vrai rôle dès maintenant?

Si j’ai ma chance, que je reprends mes aptitudes physiques, je n’ai zéro doute dans le jeu. Après, de là à jouer 15 minutes dès samedi, je ne pourrais pas. Si je triche, oui, et comme je suis toujours à fond, ça va être compliqué. Mais en fait, même si je ne joue qu’une minute, je serais heureux. Je viens pour apporter mon expérience, encourager mes coéquipiers. Je reviens comme un rookie. Je prends la chose comme si j’étais un espoir qui entre occasionnellement en jeu. Il faut juste que je me remette en selle, il y a des muscles dans mon corps dont j’avais oublié l’existence (il rit).

«Qu’on écrit sur mon âge, ça me fait plaisir»

Vous vous projetez au-delà de cette fin de saison? C’est un retour dans le professionnalisme à plus long terme que ces trois mois?

Ah non, par contre, il ne faut pas abuser. Ça, vous pouvez l’écrire. On n’aura pas tout le temps des années bissextiles (il rit). J’ai fermé une page et ça, c’est autre chose, je considère que c’est une petite parenthèse. Par rapport à ma vie, mes enfants, je ne peux plus faire ça.

Quand on associe directement votre nom à votre âge, qu’on dit automatiquement « Mamadou Dia » et « bientôt 43 ans » …

(il coupe) Honnêtement, ça fait plaisir. Ça fait partie des choses que j’aime bien. Je n’aime pas qu’on parle de moi mais si sur là-dessus, ça me va. Vu qu’on parle beaucoup des 43 ans, je me suis dit que j’allais assumer et prendre le 43 en numéro de maillot. On est en France, ça fait longtemps que je roule ma bosse, j’ai fait trois générations pratiquement (il rit). Mais je sais qu’ici, à partir de 30 ans, on te met dans un cas … Sauf que moi, si vous regardez bien mon parcours, mes meilleures statistiques en Pro B sont aux alentours des 35 ans. Là, je vois la fierté des gens qui m’aiment. J’étais sorti de ce milieu, j’avais oublié comment ça se passait. Je voulais que ce soit un secret, Pour tout vous dire, je n’avais même pas prévenu mes deux sœurs. Et aujourd’hui, j’ai reçu des messages de partout (il rit). Ça m’a donné beaucoup de force.

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Sapela en NM2, presque une nouvelle naissance selon les mots de Mamadou Dia
(photo: Christophe Canet)

Vous vraiment pas hésité, pas eu peur de l’échec par exemple?

Non, je n’ai jamais peur de ça. Si je sens que ça arrive un jour, c’est que je ne pourrais pas assumer. Si je dis non, c’est que je ne peux pas. Là, je crois en ce qu’on me demande et je sais que j’en suis capable. Je me connais mieux que tout le monde, on verra à la fin.

Votre dernière saison était une belle histoire, vous étiez le rookie de Jeep ÉLITE à 40 ans. Mais vous aviez quand même terminé par une descente en Pro B. Là, vous avez la possibilité de changer ça …

(il rit) On ne va pas le dire mais vous savez, la suite, elle est là.

Mark Stevenson et la fable de la bougie

C’est objectif Jeep ÉLITE pour Fos-Provence?

Dès le mois d’août, je l’avais annoncé. J’avais dit que sur le papier, c’était la plus belle équipe de Fos. Je suis objectif et pourtant, j’étais impressionné par l’effectif. Niveau talent, je n’ai jamais vu mieux ici mais il manque peut-être un peu de vice. Après, je vois que c’est en perdition, il n’y en a plus beaucoup. Le côté athlétique et l’adresse prend le dessus.

Samedi, il y a Fos – Paris. Au milieu de tous les jeunes Parisiens, il y a votre grand ami Amara Sy. Vous avez parlé depuis l’annonce de votre retour?

Sur un groupe de discussion avec tous les potes de La Fusion. Sacha (Giffa) et Steed (Tchicamboud) étaient au courant mais je voulais faire une surprise. Dans l’après-midi, Sambou (Traoré) a partagé le lien de l’article BeBasket. Amara a juste répondu: « Frérot, quel bail » (il rit). J’ai répondu après l’entraînement, ils ont fait un petit débat après et Amara m’a demandé si je jouais samedi. Là, je n’ai pas répondu (il rit). J’aurais préféré revenir en silence mais j’avais oublié que ce n’était pas possible.

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Plus de deux ans après leur dernier affrontement en Jeep ÉLITE, l’Amiral et le Maire vont se retrouver
(photo: Sébastien Grasset)

Qu’est-ce que ça va faire de jouer sous votre maillot, accroché au mur de la Halle Parsemain?

Ça fait partie des trucs qui peuvent me perturber donc je n’y pense pas. Je ne vais même pas le regarder. Déjà, c’est le numéro 11. Ce n’est pas anodin d’avoir choisi un autre numéro. Si j’avais représailles le 11, c’était un poids en plus. Là, je suis une nouvelle personne. Même mon jeu a changé, je vais faire des trucs que je n’avais jamais fait.

Comme dunker?

(il rit) Peut-être hein! Je préfère le lay-back ou le petit hook mais s’il faut prouver qu’on peut toujours dunker à 43 ans … Même si c’est pas ma tasse de thé, vous allez voir aux échauffements que je dunke toujours. Après, ça n’a jamais été mon jeu, je n’ai jamais été athlétique. À Saint-Chamond, il y avait un ancien meilleur marqueur de Strasbourg qui était venu en pige chez nous à 35 ans et qui défonçait tout (Mark Stevenson, 19,5 points en 11 matchs de NM1 en 2002/03 après avoir tourné à 23 , 3 points avec la SIG en 1993/94, ndlr). Il m’avait dit: « C’est comme la bougie: si tu la laisses allumée en permanence, elle va fondre vite. En revanche, si tu l’allumes et l’éteins … » Petite métaphore bizarre mais vraie .. .

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