France-Australie : Panser les plaies d’AUKUS


Si une semaine c’est long en politique, 18 mois c’est toute une vie en diplomatie. C’est le temps qui s’est maintenant écoulé depuis le « coup de poignard dans le dos » – les mots que le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian a utilisés pour décrire l’annonce surprise de l’Australie en septembre 2021 d’annuler un contrat de 90 milliards de dollars pour 12 sous-marins de classe Attack à moteur diesel de conception française en faveur d’une option nucléaire en collaboration avec les États-Unis et le Royaume-Uni.

Mais la France et l’Australie mettent désormais AUKUS derrière eux. Cette semaine à Paris a vu la dernière étape vers la normalisation de la relation, avec le deuxièmes consultations ministérielles franco-australiennes des affaires étrangères et de la défense – également appelées réunions 2+2. L’annonce principale était un plan conjoint de fabrication d’obus d’artillerie de 155 mm pour fournir à l’Ukraine une résistance à l’invasion russe, avec une société française pour fournir les obus, tandis que l’Australie fournit la poudre à canon.

Nous avons parcouru un long chemin depuis que le président français Emmanuel Macron a accusé le Premier ministre Scott Morrison de mentir.

Cette annonce sera sans aucun doute une bonne nouvelle pour Kyiv puisque ces obus sont essentiels à l’équipement militaire fourni par les principaux partenaires occidentaux. Le fait qu’il ne s’agira pas d’une livraison ponctuelle mais semble être un engagement continu est également significatif.

Mais au-delà de l’impact sur le conflit en Ukraine, ce partenariat montre que les relations entre la France et l’Australie s’améliorent progressivement. Suite à l’annonce de la coproduction des obus d’artillerie, l’ambassadeur de France en Australie Jean-Pierre Thébault est allé jusqu’à dire que la relation était entièrement réparée. C’est un peu exagéré, car des décisions telles que celle prise par l’Australie de retirer tôt sa flotte d’hélicoptères Taipan de fabrication européenne et de la remplacer par 40 hélicoptères UH-60M Black Hawk de fabrication américaine continuent de créer des tensions entre les deux pays. Pourtant, il est indéniable que nous avons parcouru un long chemin depuis que le président français Emmanuel Macron a accusé le Premier ministre Scott Morrison de mentir.

Le 2+2 avec les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l'Australie et de la France (DFAT)
Le 2+2 avec les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’Australie et de la France (DFAT)

De nombreux facteurs ont rendu possible cette normalisation, mais trois sont particulièrement significatifs.

Tout d’abord, Canberra a reconnu que la France est une puissance clé de l’Indo-Pacifique, ce qui était particulièrement important pour Paris, soucieux de promouvoir le statut international de la France et en particulier son rôle dans la région.

Deuxièmement, le paiement de 835 millions de dollars effectué par l’Australie pour l’annulation de l’accord sur les sous-marins était crucial.

Mais le véritable tournant a été le changement de gouvernement en Australie avec l’élection d’Anthony Albanese en mai 2022. Cela a permis aux administrations respectives de Macron et d’Albanese de prétendre que ce qui s’est passé n’était pas un abus de confiance entre la France et l’Australie, mais par le gouvernement de Morrison. Plus précisément. Bien que cette affirmation ait quelque peu simplifié la crise, elle a fourni un récit puissant pour aider à la surmonter. Le président américain Joe Biden avait utilisé une approche similaire lorsqu’il avait tenté d’apaiser les tensions avec la France en rejetant une partie du blâme sur Morrison, affirmant qu’il « avait l’impression que la France avait été informée bien avant ».

Ainsi, depuis l’arrivée au pouvoir d’Albanese, Paris et Canberra n’ont cessé de souligner que leur relation serait fondée « sur la confiance et le respect mutuels ».

Et maintenant ?

Cette normalisation est une bonne nouvelle pour l’Australie comme pour la France. Par exemple, alors que Paris ne parle pas au nom de l’Union européenne, on peut s’attendre à ce que la France recommence à promouvoir les négociations de l’accord de libre-échange entre l’Australie et l’UE et aide à négocier certaines des demandes les moins populaires de Canberra. Ce soutien avait cessé suite à l’annonce d’AUKUS après que Macron ait cherché à « européaniser » la crise et à ralentir les négociations.

Pour la France, une coopération renforcée avec l’Australie est également une aubaine. Avant la panne induite par AUKUS, Paris avait clairement identifié l’Australie comme un pilier de sa stratégie Indo-Pacifique.

Dans les années à venir, trois domaines de coopération ont été identifiés comme particulièrement importants. Premièrement, Paris et Canberra veulent accroître leur coopération militaire afin de promouvoir un ordre international fondé sur des règles, ce qui implique de contenir l’influence croissante de la Chine dans l’Indo-Pacifique. Le ministre australien de la Défense, Richard Marles signalé des pourparlers sur la poursuite d’un accord d’accès réciproque, ce qui porterait la coopération militaire entre les deux pays à un nouveau niveau. Marles et son homologue français Sébastien Lecornu ont également signé « une déclaration d’intention entre les deux pays sur la coopération spatiale militaire ». Une coopération accrue dans le domaine du changement climatique est également attendue, à travers le financement climatique et l’atténuation du changement climatique, ainsi que l’éducation et la culture.

Les mesures concrètes qui seront prises dans les mois à venir – notamment après l’annonce de la « voie optimale » AUKUS en mars – seront essentielles pour bien saisir la place de la coopération franco-australienne dans la politique étrangère australienne. Mais pour l’instant, ces dernières annonces confirment ce que l’on soupçonnait suite à la visite d’Albanese à Paris en juillet 2022 : que les relations entre la France et l’Australie se normalisent et que les pires tensions AUKUS se sont estompées.



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