Football. Bienvenue dans la jungle du mercato amateur


Le football amateur n'échappe pas à son mercato.
Le football amateur n’échappe pas à son mercato. (© AC / Sport à Caen)

Si la saison s’était déroulée normalement, les footballeurs s’attaqueraient au sprint final en cette fin du mois d’avril. Certains joueraient la montée à l’étage supérieur, d’autres lutteraient pour ne pas en descendre et le grand feuilleton du amateur de football nous passionnerait comme chaque année. Mais le Covid-19 est passé par là, chavirant tous les repères temporels. En 2021, le printemps lance déjà la prochaine saison. Coachs et présidents de tous les niveaux s’activent pour construire leur équipe idéale.

Une actualité anticipée

L’arrêt des compétitions dès le mois d’octobre 2020 – seule la Coupe de France s’est poursuivie pour les heureux qualifiés – a permis d’anticiper les processus de recrutement. «Comme tout le monde a du temps, tout le monde travaille bien plus en amont», remarque Laurent Glaize, qui n’échappe pas à la nouvelle règle avec son club de Mondeville (R1). La pratique commune veut qu’on commence le travail en s’entretenant d’abord avec ses propres joueurs. Vient l’heure, ensuite, de décrocher son téléphone.

Des principes plus ou moins respectés

Quand un entraîneur s’intéresse à un joueur d’une équipe adverse, une sorte de gentlemen’s agreement prévoit d’avertir le club concerné avant d’entrer en contact avec la possible recrue. «Avant d’appeler Romain Hirèche, je suis passé par Vincent Laigneau (coach d’Alençon en N3, ndlr) pour le lui dire, précise Frank Dechaume, l’entraîneur de la MOS. J’essaie de respecter ce principe dans la mesure du possible. Par contre, il y en a que je n’appelle pas parce qu’ils m’ont mis une carotte dans le passé. »Nicolas Vrel, à Verson, reconnaît qu’il se ferait« une joie »de piquer des joueurs à des homologues pas très appréciés. Mais dans ce petit milieu, les éventuelles prises de tête parents à l’intersaison ne sont pas dans l’intérêt de personne.

Ça reste très bon enfant à notre niveau. Le but est d’entretenir des bonnes relations les uns envers les autres. Elles peuvent être utiles dans le futur.

Nicolas VrelEntraîneur de l’AS Verson (R2)
Nicolas Vrel utilise sa nouvelle carrière de joueur pour alimenter son réseau.
Nicolas Vrel utilise sa nouvelle carrière de joueur pour alimenter son réseau. (© AC / Sport à Caen)

«Il y en a qui secouent l’arbre…»

Certains clubs se font cependant une petite réputation en matière de recrutement. «Il y en a qui secouent l’arbre et qui voit ce qui tombe, image Frank Dechaume. La saison dernière, un club a appelé huit de mes joueurs. »D’autres« s’obstinent à appeler nos joueurs tous les jours », peste Laurent Glaize. Le manager de l’USON Mondeville sait de quoi il parle quand il évoque les pratiques jugées excessives de ses voisins. «Mondeville n’a pas toujours été propre. »L’intersaison charrie, de toute façon, son lot d’histoires.

C’est le copier-coller du mercato chez les pros mais de manière encore moins structurée. Ça part dans tous les sens.

Laurent GlaizeDirecteur de l’USON Mondeville (R1)

Un vivier consécutif à Caen

Avant de démarcher qui que ce soit, les entraîneurs ont normalement analysé leur effectif et repéré les manques, sur le terrain ou dans le vestiaire. Au niveau amateur, le recrutement est essentiellement régional, voire local. «A la chance d’avoir un sacré vivier à Caen», souligne Nicolas Vrel. Une fois le profil de la recrue potentielle établie, le coach doit trouver les bons mots. Chaque joueur ne sera pas sensible aux mêmes arguments.

Les joueurs font leur choix en se basant sur un ensemble. Je pense que l’élément le plus important reste le niveau de jeu qu’on leur propose. Ensuite, il y a l’argent.

Maxime LegrandJoueur de Bayeux (N3)

Plus le niveau s’élève, plus l’argent compte

En National 3, la quasi-totalité des joueurs sont payés. Certains joueurs cotés sont en capacité de ne pas vivre que du football. Jules Huet en fait partie. «Personnellement, la rémunération rentre en compte à 70% dans mon choix», avoue-t-il. Au niveau du dessous, «peu de clubs recrutent sans argent», estime Frank Dechaume. Les bons joueurs de Régional 1 peuvent espérer mettre du beurre dans les épinards.

Quand je suis arrivé à la MOS, je ne savais pas que ça fonctionnait comme ça. Je suis passé pour un crétin quand j’ai appelé le premier joueur et qu’il m’a demandé combien je pouvais lui donner.

Frank DechaumeEntraîneur de la MOS (R1)
Avant d'être entraîneur et manager de la MOS, Frank Dechaume était éducateur au SM Caen.
Avant d’être entraîneur et manager de la MOS, Frank Dechaume était éducateur au SM Caen. (© Aline Chatel / Sport à Caen)

La Maladrerie, qui ne payait pas ses joueurs, s’est «dégagée un budget pour se permettre d’être plus séduisante». Elle est entrée dans la ronde qu’intègrent aussi des clubs de Régional 2 comme Villers-Houlgate et ses moyens surdimensionnés pour le niveau. «Certains payent jusqu’en district…»

Quand les copains recrutent …

Le recrutement ne se limite pas à un appel d’un entraîneur, voire d’un président dans quelques cas exceptionnels. Parfois, les joueurs s’orientent eux-mêmes vers un club, attirés par le niveau de jeu ou les capacités financières. D’autres fois, ce sont les copains déjà présents qui jouent le rôle d’intermédiaires. « Le meilleur réseau, ce sont les joueurs que tu as », estime Nicolas Vrel.

Trouver les mots

Quand il est possible, l’argument financier a donc du poids. Mais l’immense majorité des joueurs a besoin d’entendre autre chose qu’un chiffre. Nicolas Vrel, qui était encore joueur il y a quelques années, le sait bien. «Quand je suis parti du Stade Malherbe, j’ai été sollicité par des clubs de CFA mais c’est le discours de Philippe Clément, en CFA2 et avec beaucoup moins de moyens, qui m’a plu. Il y en a qui sait trouver les mots… »L’entraîneur de Dives-Cabourg est réputé pour sa capacité à faire tourner les têtes.

Philippe Clément en est quasiment à 30 saisons à la tête de SU Dives-Cabourg.
Philippe Clément en est quasiment à 30 saisons à la tête de SU Dives-Cabourg. (© SU Dives-Cabourg)

Des arguments communs ou spécifiques

Comme Philippe Clément, beaucoup vendent projet sportif et aventure humaine. Certains clubs peuvent s’appuyer sur des spécificités un peu plus propres. À Vire, Christophe Lécuyer est «fier, aujourd’hui, de faire visiter les infrastructures» aux joueurs contactés par Cédric Hoarau, son entraîneur. À Mondeville, la présence d’un entraîneur au DEFP (Diplôme d’entraîneur de football formateur) a de quoi retenir l’attention des jeunes joueurs à fort potentiel.

«J’appréhende de rappeler les coachs…»

Dans tous les cas, il faut donner envie au joueur de venir. Car le fin mot de l’histoire, c’est lui qui l’écrira. Si certains joueurs fidèles à leur club depuis de longues années sortent des radars des recruteurs, d’autres y ont droit chaque été ou presque. «C’est forcément flatteur mais j’appréhende à chaque fois de rappeler les coachs – je le fais l’intégralité – pour leur annoncer que j’ai fait un autre choix, expose Maxime Legrand. J’en serais presque à dire oui pour ne pas les décevoir! »Choisir sa destination, en se basant sur ses propres critères, n’est pas toujours aisé.

Rester discret

Quand un joueur décide de s’engager en faveur d’un club, il signe parfois un protocole – comme à Mondeville – mais n’est pas lié à une nouvelle structure tant que sa licence n’a pas été signée et renvoyée. Les entraîneurs restent donc prudents, de crainte de subir une revirement… ou de donner envie à des confrères de se pencher sur un profil passé entre les mailles du filet. Mondeville s’est empressé de retirer une publication postée sur Facebook il y a quelques jours. D’autres attendent avant de communiquer. «Du début à la fin, il faut rester le plus discret possible, conseille Nicolas Vrel. Il y a des rumeurs tous les jours, un peu d’intox aussi. »

La formation lésée?

Particulièrement long cette année, le mercato amateur est «un peu la jungle parce qu’il n’est pas encadré», aux dires de Frank Dechaume. Un club formateur peut voir partir, sans dédommagement financier, la pépite qu’il a mis plusieurs années à faire éclore. Mais là, c’est encore un autre débat…

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