ENQUÊTE. Parents de champions en devenir, une gymnastique de l’équilibre. sport


«J’ai eu le besoin de couper la relation avec mon père car je trouvais que cela devenait limite toxique. On n’a parlé que de vélo pendant des années. À un moment donné, je me suis demandé si j’avais juste un entraîneur à la maison. Parfois, cela aurait fait du bien d’avoir plus un papa. » Axel Journiaux, tout juste retraité à 25 ans et ancien coureur professionnel chez Total Direct Énergie, fait partie des trop nombreux enfants ayant difficilement vécu la relation parents-enfant à cause de son projet sportif.

photo axel journiaux (au centre) a mis fin à sa carrière de cycliste professionnel à 25 ans.  © ouest-france

Axel Journiaux (au centre) a mis fin à sa carrière de cycliste professionnel à 25 ans. © Ouest-France

Souvent rêvée, parfois approchée et rarement exaucée, la réussite d’une carrière professionnelle reste conditionnée à énormément de paramètres. Les parents, trop souvent oubliés, en sont l’un des piliers. «Leur rôle est primordial dans la réussite de leur enfant», rappelle Georges Tournay, directeur du Pôle Espoirs de Liévin et ancien directeur du centre de formation du RC Lens. Surtout à une période charnière telle que l’adolescence.

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«Ton bac en poche! »

Le sport professionnel n’échappe pas à cette règle. Le baccalauréat, notamment, garde la côte chez ces parents de sportifs de haut niveau en devenir. Un diplôme indispensable en cas d’échec. «Sur l’a prévenu. Aie au moins ton bac pour pouvoir faire autre chose. Tes études en priorité car au moindre grain de sable, tout peut s’enrayer », se remémore Nathalie Le Marchand, mère de Maxime Le Marchand, joueur de football professionnel au Royal Antwerp FC (Belgique), formé au Stade Rennais.

Benjamin Patry avait quant à lui essuyé le refus de la part de ses parents pour partir du domicile familial et rejoindre le pôle espoirs de Montpellier dans ses plus jeunes années. «Mes parents estimaient que je ne devais pas à partir de la 5e, car le collège n’avait pas une très bonne réputation et qu’il fallait que j’attende », se souvient le jeune homme, actuellement au pôle espoirs de base-ball à Rouen.

Des interrogations partagées par des parents craintifs, que le discours affiché ne corresponde pas forcément à la réalité. «Ce qui est peut-être reproché dans ces structures, c’est que le sport soit considéré comme la priorité et l’école devient secondaire. Il y a encore une progression au fil des années », reconnaît Noémie Lienhart, enseignante-chercheuse à l’UFR STAPS de Nantes.

Une évolution rassurante

Cette méfiance, les structures sportives en ont parfaitement conscience et tentent de l’atténuer. L’exemple de l’Olympique de Marseille est frappant. En 2012, le centre de formation affiche 0% de réussite à l’examen du baccalauréat. Un résultat dramatique mais finalement pas vraiment révélateur. Le taux de réussite des clubs à travers les centres de formation de l’Hexagone dépasse souvent la moyenne nationale. En témoigne le sans-faute réalisé par les jeunes pousses phocéennes en 2020, comme à Monaco, Nantes, Ajaccio, Toulouse ou Nancy.

Au départ inquiets, les parents se sentent de plus en plus rassurés. «Je mets en place des rendez-vous réguliers avec les parents. Si ça ne fonctionnait pas sur le plan sportif, le fait que leur enfant sorte avec un diplôme, la pilule passait mieux, explique Georges Tournay avant de prendre comme exemple Raphaël Varane, champion du monde et passé par le centre de formation lensois. Quand on est allé le chercher à 11 ans, sa maman ne me demandait qu’une seule chose choisie: que son fils ait son bac, car elle ne s’y connaissait pas dans le domaine du foot. Et il l’a eu! »

photo raphaël varane (à gauche) a été formé au rc lens avant de rejoindre le real madrid.  © archives ouest-france

Raphaël Varane (à gauche) a été formé au RC Lens avant de rejoindre le Real Madrid. © Archives Ouest-France

Plus encore, le défenseur central du Real Madrid, sur le site officiel de l’UEFA, avait raconté ne pas avoir reconnu un certain Zinedine Zidane au téléphone, trop préoccupé par sa vie lensoise. «Quand Zizou m’a appelé, c’était une période assez mouvementée et j’étais concentré sur une période d’examens et le fait de voir la relégation en deuxième division avec Lens, se rappelait-il. C’était un soir où j’étais un peu fatigué et je ne l’ai pas reconnu au début. Quand je l’ai reconnu, j’étais un peu stressé et je lui ai demandé très poliment qu’on se rappelle à un autre moment. »

Tout le monde n’est pas confronté de la même manière à cette problématique. L’appât du gain, avec le football en tête de gondole, rajoute de la pression mal placée. «Je me suis rendu compte que quand des familles parlaient plus d’argent que de projet sportif, scolaire, éducatif de l’enfant, j’avais énormément d’échecs», ajoute Georges Tournay.

D’autres sports, moins d’affiliés à l’argent, engendrent moins l’abandon des études. «On ne mise pas tout là-dessus au contraire du football car très peu en vivent. J’ai continué mes études pour préparer l’avenir », souligne Victor Coroller, athlète français spécialiste des foins de 400 m.

photo victor coroller a poursuivi ses études en même temps que sa carrière d'athlète.  © ouest-france

Victor Coroller a poursuivi ses études en même temps que sa carrière d’athlète. © Ouest-France

Éviter l’enfermement dans le sport

Néanmoins, à mesure de sa progression et de son intégration dans les structures spécialisées, l’adolescent risque de devenir obnubilé par son sport. Au point de délaisser les découvertes habituelles que l’on peut faire à cet âge. La passion, si grande soit-elle, doit s’imposer des limites. «Les parents craignent que leur enfant n’était pas un développement équilibré. Ils vont passer moins de temps avec leurs amis, soulève Noémie Lienhart après avoir interrogé 1 300 parents confrontés à cette situation. Leurs seuls proches seront issus du domaine sportif. Le sport prend parfois trop de place donc il y a des compromis à trouver. »

À force de s’enfermer dans un seul domaine, les retouches négatives peuvent être multiples. Quitte à avoir une incidence sur les performances. «À 15, 16, 17 ans, on ne peut pas tout le temps être sur le pied, il faut rencontrer des personnes de son âge, renchérit Georges Tournay. Au départ, je ne regarde que le joueur mais il y avait trop d’échecs. La Fédération nous a demandé de ne pas regarder que le footballeur mais aussi l’encadrement familial. »

Un trio indissociable

La relation entre l’enfant, les parents et l’éducateur s’avère précieuse. Elle doit reposer sur un contrat de confiance. Pour éviter un rapport de force préjudiciable dans l’intérêt de l’enfant, les entraîneurs doivent s’informer sur ce qu’il passe au domicile familial. «Cela est issu d’un triptyque. Trop souvent, sur l’oublie. On doit faire passer des messages aux parents mais eux aussi. On ne sait pas forcément ce qu’il se passe à la maison. S’il y a une séparation, on doit être au courant de ce genre d’informations. On comprendra plus facilement l’enfant », souligne l’ancien joueur de football professionnel.

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Une période de doute survient plus rapidement lorsqu’à la maison, l’ambiance n’est pas au beau fixe. Mais c’est à travers l’échange que l’adolescent se livrera. «Il ne faut pas être désintéressé sans pour autant être directif. Chacun doit trouver sa place, explique Noémie Lienhart. Si les enfants parlent peu avec leurs parents, certains craignent de ne pas percevoir un moment de mal-être chez leur enfant. »

L’éloignement, dans la plupart de cas, rend la discussion encore plus capitale. «Les premières années en famille d’accueil ont été très dures pour lui, encore plus que ce qu’on avait pu ressentir. C’est beaucoup plus tard qu’il nous l’a avoué. Il fallait être présent, ce n’était qu’un gamin de 12 ans… », se souviennent les parents de Maxime Le Marchand.

photo maxime le marchand (à gauche) a rejoint le stade rennais à l'âge de onze ans.  © archives ouest-france

Maxime Le Marchand (à gauche) a rejoint le Stade Rennais à l’âge de onze ans. © Archives Ouest-France

Leur présence rassurante, indispensable dans la construction de l’enfant, doit permettre de contenir ce trop-plein. Surtout en faisant face à la découverte d’un nouveau milieu qui entraîne des moments de doute et parfois d’incompréhension. «Ils sont très peu finalement à avoir une emprise négative, assure Noémie Lienhart. Ils veulent bien faire mais ne savent pas. »



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