« Correspondance à plongeurs. uvres complètes, tome XVII »


« Portrait d'Alexis de Tocqueville », de Théodore Chassériau (1850).

« Correspondance à plongeurs. Œuvres complètes, tome XVII », d’Alexis de Tocqueville, édité sous la direction de Françoise Mélonio, Gallimard, trois volumes, 404 p., 39 €, numérique 28 € ; 764 p., 44 €, numérique 31 €, et 638 p., 42 €, numérique 30 €.

Mille huit cents pages, trois volumes, des centaines et des centaines de lettres, la plupart inédites, d’un penseur de première grandeur, voilà qui mérite de s’y arrêter. La correspondance d’Alexis de Tocqueville (1805-1859) est une mine, un monde à facettes, un univers tantôt intime et amical, tantôt mondain et politique, souverainement intelligent, sensible, superbement écrit. Après d’autres recueils, réunissant notamment ses lettres à des personnalités anglaises, des membres de sa famille, au diplomate Arthur de Gobineau ou à l’historien Jean-Jacques Ampère, ces trois tomes de Correspondance à plongeurs viennent clore l’édition monumentale, en 18 tomes et 31 volumes, des uvres complètes de Tocqueville. Ce pays épistolaire, privé et public, vaut d’être exploré et savouré, sous bien des angles, selon les centres d’intérêt de chacun.

Des proximités étonnantes

On peut l’arpenter, par exemple, en citoyen français de 2021, repérant de page en page des proximités étonnantes entre son temps et le nôtre. Quand il évoque cette « vaste société américaine dont chacun parle et que personne ne connaît », est-ce un constat de 1831, ou une remarque pour aujourd’hui ? Quand il est décrit « le spectacle d’une société marchant toute seule, sans guide ni soutien, par le seul fait du concours des volontés individuelles », parle-t-il de la démocratie en Amérique, ou de ce que devient notre temps ?

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Il serait tentant de détourner bon nombre de ses remarques sans se soucier des anachronismes. Cette France que Tocqueville dépeint lasse « de la liberté, de la publicité, des droits politiques », est-ce celle du Second Empire, se couchant docilement sous un régime fort, ou la nôtre ? Lorsque, vers la fin de sa vie, l’auteur écrit à Victor Cousin : « Je suis effrayé de voir comment je deviens de plus en plus différent de mes contemporains. Je m’attache davantage à la liberté à mesure qu’ils s’en éloignent et je deviens de plus en plus amoureux des grâces du langage à mesure que nous baragouinons de pire en pire », sommes-nous certains qu’il s’agit d’un passé révolu ?

Cet homme entre deux univers

Pareil angle de lecture serait le plus curieux, pas forcément le moins sérieux. Mais il en est d’autres plus habituels, et pas moins féconds. Ces trois volumes de correspondance peuvent ainsi se lire comme une biographie indirecte, un reflet de la trajectoire de cet homme singulier, encore parfois méconnu, qui vécut toujours entre deux univers. Aristocrate, héritier, châtelain, hobereau, il n’a cessé d’entretenir avec le « monde d’en haut », dont il provient, « une foule de secrètes sympathies qui naissent de commune origine », comme il l’écrit à son parent Montalembert en 1840. Ces affinités l’empêchent de parler le langage du peuple, mais ne suffisent jamais à le rendre légitimiste, nostalgique de l’Ancien Régime ni réactionnaire. Cet homme du passé a compris l’avenir. Il sait que l’égalité devient le levier central de l’histoire, avec des conséquences inattendues et multiformes. L’égalisation des conditions est à ses yeux la clé des mutations politiques et sociales des Temps modernes, de leurs progrès comme de leurs risques. Tocqueville est allé observer ces processus aux États-Unis. Il n’a cessé d’en approfondir la compréhension. Elle préside aux trois temps de son existence, que ces volumes produisent par le menu.

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