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Conflit au Tigré : où en est-on aujourd’hui ?


Depuis le 4 novembre 2020, le Gouvernement fédéral éthiopien combat les insurgés du Tigré, région séparatiste située au Nord du pays. Voilà donc presque quatre mois que le conflit a éclaté et nombreuses sont les conséquences liées à ce climat belliqueux.

« Je suis heureux de vous annoncer que nous avons achevé et arrêté les opérations militaires dans la région du Tigré. Notre objectif sera désormais de reconstruire la région et de fournir une aide humanitaire pendant que la police fédérale appréhendera le FLPT (Front de libération du peuple du Tigré) » a déclaré le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali sur Twitter le 28 novembre 2020.

Le Tigré : une région rebelle

Le Tigré est une région dotée d’une superficie de plus de 84 000 km² avec pour capitale Mekele. La minorité tigréenne constitue 6 % de la population totale éthiopienne. L’Ethiopie est un Etat fédéral divisé en régions se basant parfois sur les groupes ethniques. Depuis 2018, Abiy Ahmed Ali est le Premier ministre d’Ethiopie et il est accusé d’avoir progressivement marginalisé la minorité tigréenne. Le Tigré est donc depuis 2018 dans l’opposition face au Gouvernement éthiopien. En août 2020, des élections législatives doivent avoir lieu mais elles sont reportées. Cette action met le feu aux poudres et le Tigré devient dès lors séparatiste. Les Forces de Défense Nationale Ethiopiennes (FDNE), soit l’armée éthiopienne, sont attaquées à Mekele et à Dansha le 4 novembre. C’est un casus belli et le Gouvernement éthiopien décrète dès le lendemain l’état d’urgence pour une durée de six mois. Le même jour, le président du FLPT Debretsion Gebremichael a assuré que les miliciens tigréens ont pris le contrôle du quartier général du commandement Nord de l’armée éthiopienne. Des armes ont été saisi et les hommes des FDNE ont fait défection pour rejoindre la rébellion.

Dans la nuit du 9 au 10 novembre, des hommes du FLPT massacrent près de 600 civils amharas à Maï-Kadra selon la Commission éthiopienne des droits de l’homme. Pour Amnesty International, « de nombreuses personnes, probablement des centaines, ont été poignardées ou tuées à la hache ». Le lendemain, l’armée éthiopienne s’empare de la ville. Le 14 novembre, des roquettes sont tirées vers Asmara, la capitale érythréenne. Le FLPT accuse l’Erythrée d’accorder un accès à son aéroport aux soldats éthiopiens pour opérer des bombardements dans la région tigréenne. Du 16 au 21 novembre, plusieurs villes sont reprises par les FDNE : Alamata, Shire, Aksoum, Adoua, Tsorona-Zalambessa et Adigrat. Le 22 novembre, Abiy Ahmed Ali lance un ultimatum à Debretsion Gebremichael exhortant que ses troupes se retirent de Mekele afin d’éviter une potentielle offensive militaire pouvant occasionner la mort de civils. Mais en vain. Le 26 novembre, l’offensive terrestre est lancée, et le 29 la ville est reprise par le Gouvernement. Au matin du 23 décembre, environ 500 miliciens tigréens encerclent la zone de Metekel. Les maisons sont incendiées et les civils sont massacrés. Selon la Commission éthiopienne des droits de l’homme, 207 habitants ont été assassiné. Quelques jours après, les FDNE répondent au massacre en exécutant 42 personnes liées à la tuerie.

La question des réfugiés

Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), près de 500 000 personnes ont fui la dictature érythréenne depuis le début des années 2000. Le Tigré est l’une des principales zones de refuge ou de passage pour les réfugiés érythréens. Beaucoup se sont exilés pour éviter le service militaire érythréen, réputé particulièrement rude. Les exilés érythréens vivent dans des camps de réfugiés où l’eau potable se fait rare. Environ 3000 réfugiés de Hitsats et de Shimelba, deux camps du Nord du Tigré, ont depuis rejoint les camps du Sud, à pied, sans eau ni nourriture. La présence des soldats d’Asmara fait craindre une déportation massive de ces réfugiés arrêtés vers l’Erythrée. Près de 50 000 Tigréens ont également fui la région vers le Soudan voisin, tandis que 10 000 autres civils se sont réfugiés à Bulen, ville située au Nord-Ouest du pays. Fin décembre, le nombre total de civils déplacés a été recensé à un près d’un million de personnes.

Une crise humanitaire et alimentaire au Tigré

Selon Médecins Sans Frontières (MSF), les hôpitaux sont pillés et ne fonctionnent en conséquence qu’à 40 % de leurs capacités. « Il y a une pénurie de nourriture et de médicaments, d’essence et autre produit de première nécessité » explique Maria Gerth-Niculescu, correspondante France 24 à Addis-Abeba.

Le 9 décembre dernier, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) Antonio Guterres, a annoncé qu’un accord humanitaire avait été trouvé entre l’ONU et l’Ethiopie. Cet accord permettra d’organiser conjointement des missions d’évaluation afin de déterminer l’aide humanitaire nécessaire. Guterres a ajouté que cela pourra permettre à la communauté internationale « de s’assurer qu’il y a un total accès à l’ensemble du territoire et une pleine capacité à débuter des opérations humanitaires fondées sur des besoins réels et sans aucune discrimination possible ». Le premier convoi est arrivé à Mekele trois jours après.

Avec un climat sec et capricieux, les récoltes ont été d’autant plus catastrophiques avec le conflit. Cette situation plonge le Nord du pays dans une situation alimentaire plus que précaire puisque six millions de Tigréens sont à nourrir. De plus, l’année 2020 a également marqué la pire invasion de criquets pèlerins depuis des décennies. Ces insectes ont détruit de nombreuses plantations entrainant ainsi une hausse considérable du prix des denrées alimentaires. Le Gouvernement éthiopien apporte son aide aux populations locales. Par exemple, en décembre, les autorités ont distribué des sacs de 50 kg de blé à des centaines d’habitants d’Alamata, ville du Tigré. Le Gouvernement continue de distribuer de la nourriture dans les zones contrôlées par l’armée tout en développant une route d’accès humanitaire afin de favoriser l’appui des ONG auprès des Tigréens.

La croissance économique éthiopienne menacée par le conflit

Avec la guerre au Tigré, l’économie éthiopienne est menacée. En effet, le tourisme, l’industrie et les aides financiers internationales se retrouvent paralysés. Le tourisme, secteur qui contribue pour 10 % au PIB de l’Ethiopie, en est la première victime. Le Tigré constitue l’une des principales régions touristiques du pays, et le conflit actuel rend toutes les escapades touristiques impossibles. Ces activités sont impraticables depuis bientôt un an maintenant en raison de l’actuelle pandémie de Covid-19. De nombreuses infrastructures, usines, et entreprises devront être reconstruites après le conflit. Le 17 novembre 2020, les forces éthiopiennes partent à l’assaut de Mekele en lançant des frappes aériennes. Ces raids aériens ont endommagé des routes, des ponts, des hôpitaux et des maisons. Puis, trois jours plus tard, le 20 novembre, une nouvelle frappe aérienne inflige des dégâts colossaux à l’université de Mekele.

Le conflit est coûteux et faute de disposer de moyens financiers importants, Addis-Abeba souhaite faire participer les contribuables à l’effort de guerre. Dernièrement, le Gouvernement fédéral a imposé une contribution d’un mois complet de salaire des fonctionnaires afin de financer le conflit au Tigré. Depuis la reprise et la sécurisation de Mekele par les troupes d’Abiy Ahmed Ali, les employés de la Banque commerciale d’Éthiopie ont dû verser 30 % de leur salaire pour la guerre dans leur propre région.

Avant la guerre, l’Ethiopie a suscité l’intérêt des investisseurs privés. Depuis novembre 2020, cette situation florissante est mise à mal. La logistique, l’énergie, les télécommunications sont les secteurs où l’Etat éthiopien a ouvert ses monopoles aux investisseurs. Néanmoins, seule la privatisation partielle d’Ethio Telecom, dont 40 % des parts sont promises à deux opérateurs étrangers, a été acté. Avec une économie affaiblie, l’Ethiopie sera sans nul doute en position de faiblesse pour négocier les futurs accords avec les investisseurs privés internationaux. De plus, il faut rappeler que, selon la Banque mondiale, l’Ethiopie figure à l’avant-dernier rang en termes de protection des actionnaires minoritaires. De ce fait, les investisseurs vont évidemment faire baisser les prix lors des nouvelles négociations à venir et exiger des garanties aux entreprises éthiopiennes.

Amnesty International accuse l’Erythrée de crimes de guerre

Selon les habitants du Tigré et les membres des Organisations Non-Gouvernementales (ONG), l’Erythrée épaule l’Ethiopie dans sa lutte contre la région rebelle du Tigré. Mais Asmara et Addis-Abeba nient cette affirmation.

« Ce que nous avons découvert, c’est qu’il y a eu des bombardements aveugles, des massacres systématiques de civils à Aksoum les 28 et 29 novembre, ainsi que des pillages de propriétés et ces crimes peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité » affirme Fisseha Tekle, chercheur pour Amnesty International.

Dans un récent rapport, l’ONG Amnesty International affirme que les soldats érythréens ont assassiné des centaines de civils. Les massacres ont eu lieu les 28 et 29 novembre en représailles à une attaque menée par un groupe de miliciens pro-TPLF contre des militaires érythréens.  Le 28 novembre, « les soldats érythréens sont entrés dans la ville et ont commencé à tuer des gens au hasard » a raconté un homme de 22 ans. Selon la population, de nombreuses victimes ont été tuées alors qu’elles étaient désarmées. Le lendemain, le 29 novembre, des exécutions sommaires ont eu lieu. Un homme a raconté avoir vu, devant chez lui, des Erythréens faire aligner six hommes, avant de les abattre par derrière. Selon Amnesty International, des images satellites dévoileraient l’emplacement de fosses communes. Cette haine remonte à la guerre entre l’Erythrée et l’Ethiopie (1998-2000) où le FLPT combattait les forces érythréennes. Les ennemis jurés n’ont jamais vraiment approuvé la paix et le conflit actuel est un moyen d’exprimer leur violence pour les deux camps.

Deprose Muchena, directeur régional de l’ONG pour l’Est et le Sud de l’Afrique, déclare : « Plus encore, les troupes érythréennes se sont déchaînées et ont méthodiquement tué des centaines de civils de sang-froid, ce qui semble constituer des crimes contre l’humanité. Cette atrocité compte parmi les pires documentées à ce jour dans ce conflit ». Les responsables de l’ONG rassemblent toutes les preuves dont ils disposent pour presser l’ONU d’enquêter. Cependant, certaines sources sont remises en question puisqu’aucun média n’est autorisé à accéder aux zones de combats tandis que toutes les routes et communications ont été coupées. Ainsi, il est impossible de vérifier objectivement les dires des deux camps.

Vers une prolongation du conflit ?

Les quelques 250 000 rebelles tigréens, qui disposent encore de chars, d’armes et de roquettes, se sont retranchés dans les montagnes. Ces derniers affirment vouloir lutter jusqu’à leur mort contre l’armée éthiopienne mieux équipée mais numériquement inférieure. Les 110 000 hommes d’Abiy Ahmed Ali combattent actuellement dans ces zones. Mais l’avenir du conflit au Tigré est toujours incertain, puisque celui-ci se transforme en actions de guérilla. Par conséquent, même si le FLPT est en perte de vitesse aujourd’hui, il n’est pas impossible qu’on assiste à une résurgence du conflit dans les semaines à venir.

Dans une interview datée du 3 février dernier avec le think tank Hoover Institution, le président de la République du Rwanda Paul Kagame affirme sa préoccupation vis-à-vis de la situation au Tigré. Il souhaite que la communauté internationale se saisisse plus fermement du dossier et assure qu’on apprendra la vérité sur ce conflit lorsqu’il sera trop tard. Cette déclaration provenant d’un rwandais fait écho au génocide de 1994 et provoque une certaine crainte envers un éventuel génocide à venir au Tigré. Espérons juste que cette affirmation ne se traduise pas par des actes.

Sources

  • https://www.france24.com/fr/afrique/20210226-%C3%A9thiopie-amnesty-accuse-l-arm%C3%A9e-%C3%A9rythr%C3%A9enne-de-crimes-de-guerre-au-tigr%C3%A9
  • https://www.france24.com/fr/afrique/20201129-conflit-en-%C3%A9thiopie-l-intention-d-abiy-ahmed-n-est-pas-de-mettre-le-tigr%C3%A9-%C3%A0-feu-et-%C3%A0-sang
  • https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/le-monde-dans-tous-ses-%C3%A9tats/20201207-%C3%A9thiopie-la-poudri%C3%A8re-du-tigr%C3%A9
  • https://sahel-intelligence.com/23105-erythree-amnesty-international-accuse-larmee-erythreenne-de-tuerie-de-masse-en-ethiopie.html
  • https://fr.africanews.com/2021/02/26/amnesty-international-accuse-l-erythree-de-tuerie-de-masse-au-tigre/
  • http://www.lejournalinternational.info/lethiopie-en-proie-a-un-emiettement-etatique/
  • https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20210226-%C3%A9thiopie-conflit-au-tigr%C3%A9-l-%C3%A9rythr%C3%A9e-accus%C3%A9e-de-tuerie-de-masse-selon-amnesty
  • https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/02/08/ethiopie-la-peur-des-refugies-erythreens-chasses-de-leurs-camps-par-la-guerre-au-tigre_6069198_3212.html
  • https://www.lepoint.fr/monde/ethiopie-les-refugies-erythreens-victimes-collaterales-du-conflit-au-tigre-01-02-2021-2412104_24.php#
  • https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/12/22/en-ethiopie-le-miracle-economique-menace-par-le-conflit-au-tigre_6064251_3212.html
  • https://blogs.mediapart.fr/freddy-mulongo/blog/250221/le-conseil-des-droits-de-l-homme-se-penche-sur-les-situations-erythree-et-sri-lanka

Source image de couverture : photo de malucmw

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