Commerce en ligne: sortir de la jungle


D’autres virus viendront. D’autres catastrophes frapperont le Québec. Pas de sitôt, espère-t-on. Mais en tirant des leçons de la dernière – et éprouvante – année, il est possible d’être mieux préparé pour faire face au prochain coup dur qui ébranlera la province. Voici l’un des chantiers à mettre en œuvre afin de ne plus jamais vivre des temps aussi difficiles.

Avant la pandémie, LOOP Mission, un fabricant montréalais de jus, de bières et de savons faits à partir de fruits et légumes destinés aux déchets, n’offrait aucun de ses produits en ligne. La première «pause» décrétée par le gouvernement québécois le 24 mars 2020 et la fermeture des commerces qu’elle a entraînée ont fait prendre conscience à ses dirigeants qu’ils négligeaient un segment du marché à fort potentiel de revenus. Alors, en seulement trois semaines, LOOP a lancé une cyberboutique à partir de la plateforme Shopify et mis en place un nouveau réseau de distribution au Québec et en Ontario permettant la livraison à domicile. «Les ventes en ligne ont également dépassé nos espérances, raconte le cofondateur David Côté. Ça nous a incités à innover, avec le lancement de jus éphémères, c’est-à-dire des jus à base de fruits saisonniers fabriqués en quantité insuffisante pour une production à échelle commerciale, mais parfaite pour une production en quantité limitée, et donc exclusif à la vente en ligne. »

Les fermetures de commerces non essentiels consécutifs à la pandémie, en plus de la crainte de certains consommateurs d’attraper le virus, ont déclenché une ruée inédite vers le commerce en ligne. En mars 2020, 55% des Québécois ont effectué des achats sur le Web, alors qu’ils exécutaient que 43% un an plus tôt, d’après les données de NETendances, une enquête pilotée par l’Académie de la transformation numérique .

Pour l’ensemble de 2020, les Canadiens ont dépensé chaque mois quelque quatre milliards de dollars en ligne, un bond de 111% par rapport aux mêmes mois de l’année précédente, selon les données de Statistique Canada.

Sans surprise, Amazon figure au sommet des bénéficiaires de cette tendance, avec une hausse moyenne de 37% de ses ventes à l’échelle de la planète pour chaque trimestre de 2020, à environ 100 milliards de dollars américains par trimestre.

Cet engouement pour les services du titan américain a encouragé celui-ci à investir davantage au Québec. Ainsi, à son centre des opérations de Lachine et à son centre de tri de Longueuil s’ajouteront bientôt quatre installations: un centre de tri à Coteau-du-Lac, en Montérégie, et trois postes de livraison, soit deux à Laval et un à Lachine. Cela devrait se traduire par la création d’un millier d’emplois, dont 500 dans le grand centre de distribution de Coteau-du-Lac seulement.

Cette emprise acquiert d’Amazon sur le commerce en ligne au Québec et la série d’annonces de faillites et de restructurations d’enseignes québécoises connues, comme Le Château, Sail et le Groupe Aldo, sèment l’inquiétude: au printemps 2020, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante craignait qu’une PME sur trois ne survivent pas à la pandémie.

Le gouvernement Legault a réagi en avril avec Le Panier Bleu, un répertoire Web pour l’achat local… sans possibilité de transactions en ligne. Une anomalie promis à une correction l’automne prochain, a assuré le directeur général du Panier Bleu, Alain Dumas.

Pourtant, les possibilités de commerce en ligne existent pour les entreprises québécoises. Par exemple, Shopify, une plateforme canadienne, permet aux PME de créer leur site transactionnel en quelques clics. Beaucoup d’entrepreneurs en ont profité: le nombre de nouvelles boutiques sur Shopify a crû de 71% lors du deuxième trimestre de 2020 par rapport à la même période de l’année précédente.

Tout se joue donc maintenant pour les PME, les consommateurs ne demandent qu’à être séduits en ligne. «La clé, c’est de faire vivre une belle expérience d’achat», estime Jean-François Renaud, cofondateur d’Adviso, une agence montréalaise spécialisée en stratégie numérique, qui offre ses conseils aux entreprises décidées à miser davantage sur le Web . «La livraison, par exemple: elle ne doit pas être le plus rapide possible, contrairement à ce que croient encore trop d’entrepreneurs et de commerçants; elle doit être prévisible. Car le client, qui a ses propres obligations, aime par-dessus tout connaître le moment précis où arrivera sa commande. »

D’ailleurs, si la logistique de la livraison à domicile s’avère lourde à soutenir pour bon nombre de PME et de commerces, d’autres solutions existantes, comme le ramassage en magasin ou en bord de rue, une nouvelle manière de consommer adopté par les Québécois.

Jean-Philippe Boudreau, directeur principal de la croissance numérique chez Absolunet, un fournisseur montréalais de services en commerce en ligne pour les PME, affirme que l’important, c’est d’oser faire le premier pas. «Pas besoin de se construire une voiture de course pour se lancer dans la vente en ligne, dit-il. Mieux vaut se doter sans tarder d’une trottinette, lui ajouter un moteur le moment venu, puis quatre roues pour enfin en faire une formule 1. évolutif d’entrer en contact avec les entreprises et les commerces susceptibles de leur plaire. »

Cook it est la preuve vivante des bénéfices que l’on retire à miser sur ses talents de séduction. Les abonnements à ce service québécois de plats prêts à cuisiner ont triplé quelques semaines après le début de la pandémie, et l’entreprise a aussitôt fait passer de 200 à 500 le nombre de ses employés. «Notre idée pour fidéliser tous nos nouveaux clients, ça a été d’agir en ligne comme le faisait l’épicier de quartier d’antan, qui savait écouter les gens et répondre aux attentes», dit la présidente et cofondatrice Judith Fetzer. Une approche gagnante, de toute évidence: Cook it est parvenue à figurer en cinquième position du palmarès WOW Numérique 2020 du Conseil canadien du commerce de détail – qui classe les entreprises d’ici en fonction de l’expérience client en ligne -, devant… Amazon (au huitième sonné).

Preuve que les entreprises québécoises ont leur place dans le grand souk numérique mondial.

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