Birmanie, violence numérique, femmes imams et dépolitisation : l’actualité des idées du vendredi 9 juillet


Philomag vous propose chaque semaine une sélection d’articles parus dans la presse française et étrangère. Des articles qui nous ont surpris, questionnés, dérangés. L’occasion de découvrir de nouveaux points de vue sur le monde et les événements qui font l’actualité.

Au programme, cette semaine : une analyse de la guerre civile en Birmanie, une attaque contre la violence de la numérisation du monde, un plaidoyer pour la reconnaissance de femmes imams et un décryptage optimiste de l’abstention galopante aux élections qui semblent ébranler les démocraties.

  • « Accélérée par la crise du Covid, la numérisation de la vie quotidienne se poursuit, brutalisant quotidiennement les dépassés et les réfractaires sur l’air du « c’est ». Cette violence mériterait pourtant de trouver écho sur la place publique » : c’est ce que défend la philosophe Celia Izoard sur le site Reporterre. Il est urgent, souligne-t-elle, de prendre ce problème au sérieux : 23 % des Français se prendre, en effet, « mal à l’aise avec le numérique ». C’est un quart de la population. « Une bonne partie pense peut-être que l’État ne devrait pas pouvoir exiger d’eux qu’ils achètent un ordinateur, un téléphone intelligent, une imprimante, un scanner et un abonnement Internet (le parc électronique de base) ; qu’ils aident des entreprises privées à faire du exploration de données [exploration des données] ; qu’ils transforment leur vie pour se consacrer à ces systèmes addictifs et envahissants ; qu’ils contribuent à la suppression des fonctionnaires et aux licenciements induits par la numérisation. Une partie d’entre eux pense aussi qu’on ne peut pas les obliger à polluer en achetant toutes ces machines « dématérialisantes ». » Mais ces critiques sont passées sous silence, balayées du débat public sans aucun ménagement.

Pourquoi c’est pertinent ? Parce que l’on réduit trop souvent la question de ce qu’on appelle l’ « illetronisme » à un problème mineur vécu par une infime partie de la population. Celia Izoard montre, au contraire, le malaise numérique est extrêmement important.

  • « Ce qui se passe au Myanmar, c’est ce que Rosa Luxemburg a appelé la « spontanéité » : […] c’est une mobilisation sociale produite par le poids et la durée d’une oppression totale. Il ya eu tant de violence, tant d’exploitation, tant d’oppression pendant si longtemps, ces gens ont grandi dans cette situation, et ont perdu la peur de la mort. […] Le subalternes parlent en mourant, comme Mohamed Bouazizi [vendeur tunisien dont le meurtre a déclenché le printemps arabe], et comme [George] Floyd. » C’est ce qu’affirme Gayatri Chakravorty Spivak, fondatrice des études subalternes, dans un entretien accordé à La Nation (en anglais). « Notre rôle n’est pas seulement de regarder ce qui se passe, mais de nous y joindre, si nous le pouvons, en tant que voix internationale. » Voiture « instant révolutionnaire » singulier, où la peur de la mort est emportée par la révolte, ne durera pas, comme l’ont montré les printemps arabes. « Vous ne pouvez pas utiliser l’incandescence de la passion politique pour produire des structures politiques permanentes. »

Pourquoi c’est percutant ? Parce que la situation en Birmanie est en train de devenir une véritable guerre civile, opposant l’État à différents groupes armés.

  • « La politique at-elle disparu avec les votants ? » L’abstention record aux récentes élections régionales et départementales est-elle le signe d’une dépolitisation globale de la société ? C’est la question que pose l’essayiste Ulysse Rabaté sur le site AOC. Et sa réponse est beaucoup plus nuancée que les cris d’orfraie poussés d’une même voix par les dirigeants politiques au lendemain du scrutin. « En désignant […] l’abstention massive qui les accompagne comme l’expression d’une « dépolitisation », on neutralize leur portée conflictuelle et l’expérience politique bien réelle qui est à leur fondement. Cette expérience contient toujours d’importantes lignes de continuité avec l’histoire émancipatrice de la gauche, nécessairement transformée. » En réalité, les « mobilisations citoyennes » se multiplient de toutes les parties, en dessous des radars du jeu politique traditionnel, auquel elles refusent d’être annexées.

Pourquoi c’est à lire ? Parce que Rabaté prend le contre-pied de la déploration généralisée regrettant la supposée dépolitisation de la France.

  • Des femmes imams pour favoriser la compréhension de la foi ? C’est ce que propose Asma Lamrabet, médecin biologiste marocaine. « Il n’existe aucun verset coranique ni récit de la Sunna qui l’interdit formellement », écrit-elle sur son personnel du site. « L’interdiction faite aux femmes d’accéder aux fonctions d’autorité politique ou religieuse n’a aucun fondement à proprement dit théologique et relève plutôt des mentalités sociales, coutumes et normes et culturelles. Il faudrait qu’on cesse, à chaque fois qu’on cherche à justifier l’exclusion des femmes de l’espace public, du politique et du sacré, de se rabattre sur le religieux afin de mettre en garde toutes les discriminations. » Cette exclusion sans partage des femmes est d’ailleurs une spécificité du monde contemporain : « La jurisprudence musulmane médiévale a fait preuve de plus de civilité, puisqu’un certain nombre de juristes ne voyaient aucun inconvénient à l’imamat des femmes, même dans des congrégations mixtes » – quoique plus souvent dans le cadre de cérémonies de prières strictement féminines. De quoi alimenter les débats théologiques !

Pourquoi c’est intéressant ? Parce qu’Asma Lamrabet, l’une des figures importantes du féminisme musulman, appuie son propos sur une lecture précise du Coran.

Paralipomena

Lundi, Gaspard Kœnig entamait à Laval (Mayenne) son propre tour de France, celui de la « simplifier ». Au programme : du porte-à-porte, une rencontre avec un sénateur LR et une conférence. Arrivée prévue en octobre. ◉ Hier soir, l’Élysée rendait hommage à Edgar Morin pour son centième anniversaire. Face au président Emmanuel Macron, le philosophe s’est lancé sans notes dans un développement sur la pensée complexe. Une méthode ? « J’ai passé ma vie à être étudiant. » Hier sur Twitter, Raphaël Enthoven prenait (temporairement) congé : « Bonne chance à ceux qui prennent des vacances. Bon courage aux autres. Bel été à tous. »

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