Après avoir fui leur pays, le sport et Limoges Athlé ont changé leur vie


Il est le meilleur. Un exemple, une référence. En étant le premier sprinteur de Limoges Athlé à se qualifier pour les championnats de France élite, Marcia Mayouma, 25 ans, a marqué l’histoire du club. Il vaut moins de 11 secondes aux 100 m (10’70 ”), il a déjà terminé deuxième parcours derrière la légende Christophe Lemaitre. Pourtant, derrière ce tableau et ces performances prometteuses, se cache un artiste triste. Apeuré. À l’avenir incertain pour avoir fui son passé.

«Je suis en danger, lance-t-il. Si je retourne chez moi, à Brazzaville (République du Congo), je suis un homme mort. »Ce ne sont pas que des mots, c’est une funeste réalité:« On a tué mon père lorsque j’avais deux ans, puis mon grand frère lorsque j’avais 17 ans ». Leur délit? «Avoir dit la vérité face à la dictature». En voulant faire pareil, Marcia aurait pu, aurait dû, finir comme eux: «En 2016, le pouvoir a voulu m’éliminer. Ils m’ont poursuivi jusqu’à la fac, m’ont poignardé et laissé dans le coma ». Il oblige: «J’ai compris que c’était fini pour moi, alors j’ai décidé de partir».

J’avais l’intention de me faire du mal, je suis allé sur les bords de Vienne, je voulais sauter du pont…

Depuis, celui qui a débarqué en France en 2018 a tout perdu. Plus de papiers, plus d’études, plus de travail, plus de logement, plus de nouvelles de sa mère et de ses trois sœurs. Marcia n’avait plus rien. Plus de raison de vivre: «J’avais l’intention de me faire du mal, je suis allé sur les bords de Vienne, je voulais sauter du pont…». Sauf que le sport, l’athlétisme en l’occurrence, lui a sauvé la vie.

Il faut ainsi le voir au complexe d’athlétisme de Beaublanc – sa seule maison affichée vit dans un squat – tous les jours. «Il s’investit beaucoup, situe son coach Séquiné Traoré. Il se donne sans compter pour progresser et transmettre son savoir-faire aux autres. »À tel point que celui qui ne disputait pas de compétitions au Congo -« mon nom m’aurait porté préjudice »- est devenu le meilleur. Un exemple.

«LA» a changé des destins

Avec Limoges Athlé, Marcia Mayouma – toujours en situation irrégulière (voir par ailleurs) – s’est intégré, s’est élevé, s’est dépassé, grâce au sport. L’histoire est belle. Elle l’est davantage car ce n’est pas la première fois que «LA» a changé le destin d’un homme.

Yousuf Jeldo Jerso en est la preuve. Il y a bientôt six ans, l’Éthiopien quittait son pays pour rester en vie. À Limoges, il a découvert l’athlétisme et «une famille». «Ici, j’ai été entouré par de bonnes personnes qui m’ont soutenu dans les moments difficiles et qui m’ont permis de vivre des événements plus heureux», affirme-t-il timidement.

Yousuf Jeldo Jerso

Le jeune homme de 26 ans se souviendra toujours de son premier cross. Il en rigole aujourd’hui: «Je ne comprenais pas bien, j’ai fini 89e». À Limoges, courir lui permettait d’oublier un quotidien fait de galères et de misère. À force de se dépenser, de se dépasser, Yousuf Jeldo Jerso a commencé à collectionner les chronos (30’56 ”sur 10 km, 1 h 07 sur semi-marathon), les podiums et les articles de journaux. Cette médiatisation a changé sa vie. Il a d’abord obtenu un titre de séjour. Puis un travail. «Je suis allé à l’entretien avec la page du Populaire du Centre, narre-t-il. Les employeurs (d’un supermarché, NDLR) m’ont dit: «Votre histoire nous touche, on va vous former» ». L’aide-boulanger lève la tête puis sourit: «Ils m’ont fait confiance, je ne les décevrai pas».

Reconnaissant et respectueux, il souhaite remercier Limoges Athlé de l’avoir accueilli, accompagné et mis sur les rails d’une intégration réussie. «Les mots me manquent, affirme-t-il dans un français parfait. Ce club est une grande famille et ça vaut tout l’or du monde. Je n’ai jamais vu ça ailleurs. »

Des athlètes de niveau national, médaillés aux France

Une famille où tout le monde s’entraide et se protège, sans pour autant se plaindre et se servir d’un parcours cabossé comme excuse. Symbole et emblème du club avec ses deux médailles de bronze aux championnats de France élite, Marie Mbuya Mala, 26 ans, originaire de Kinshasa (Congo), semble avoir tout pour être heureuse.

Marie Mbuya Mala

Elle est l’une des meilleures sauteuses en longueur du pays (6,31 m), elle a réussi de brillantes études (Master 2 Banque risque et marché) et travaille dans une banque. Mais elle vit toujours la peur au ventre, onze et après son arrivée en France: «Ma demande de nationalité française a été refusée en 2018, je dois renouveler mon titre de séjour chaque année. Cela ne me permet pas d’avoir un CDI et une situation stable. Même si j’essaie de ne pas y penser, j’ai toujours la peur que ma situation devienne irrégulière ».

Cinq choses à savoir sur Marie Mbuya Mala, la sauteuse en longueur de Limoges Athlé

Comme ses camarades, elle a connu des jours sans manger, des nuits sans savoir où dormir. Se lancer dans l’athlétisme à Limoges Athlé a été sa meilleure idée: «J’ai reçu énormément de soutien de la part de cette grande famille».

Limoges Athlé, une grande famille

Limoges, terre d’accueil? C’est vrai pour n’importe quel immigré. «J’avais une bonne situation», admet Pablo Abarca, 22 ans, fils unique d’un avocat, reçu dans l’une des deux meilleures universités du Costa Rica. Le lanceur de poids (record national du Costa Rica avec 16,01 m) a rejoint sa mère en France. Après quelques mois auprès d’elle dans le Périgord Vert, il a rapidement déménagé à Limoges, où l’étudiant en Master 1 Céramique a trouvé un cocon.

Pablo Abarca Martinez, sociétaire de Limoges Athlé, a battu le record du Costa-Rica

«Ici, il y a des gens passionnés, experts dans leur domaine, qui t’aident dans tes galères», résume-t-il. Lui aussi qualifiera de «famille» cette structure où se côtoient 800 licenciés de tous horizons (baby-athlé, loisirs, élite, handisport, sport adapté, sport santé). Pourquoi? «Quand tu vois tes coéquipiers vomir à côté de toi ou à moitié évanouis après une séance d’entraînement, cela rapproche énormément, répond-il. Dans l’effort, il n’y a pas de couleur de peau ou de situation sociale. »

Notre réussite repose sur notre volonté de s’intégrer, de réussir et de prouver que malgré les épreuves on peut s’en sortir

On oublierait presque que ces quatre-là sont des athlètes de niveau national, déjà médaillés aux championnats de France pour deux d’entre eux (Marie Mbuya Mala et Pablo Abarca). «Notre réussite repose sur notre volonté de s’intégrer, de réussir et de prouver que malgré les épreuves on peut s’en sortir», Marie explique Mbuya Mala, travailleuse devant l’éternel. «En les aidant, sur influe de manière positive sur leurs performances, résume le président Jean-Luc Quintin. Le sport doit être un vecteur d’intégration sociale. Ces belles personnes sont des exemples pour tous les jeunes. La vie n’est pas toujours facile… »

Pablo Abarca

À Limoges, elle est devenue plus belle pour Marie, Marcia, Yusouf et Pablo. Le Costaricain finit par une anecdote: «Désormais, quand je parle, je dis:« Nous, en France, ou nous, les Limougeauds »». Nourissent un rêve secret: obtenir la nationalité française pour porter les couleurs de l’équipe de France. Et rendre à ce paye qui a changé leur vie…

«S’il n’obtient pas de titre de séjour…»

Marcia Mayouma
En situation irrégulière, Marcia vit dans la plus grande précarité. Alors que Yousuf Jeldo Jerso a obtenu un titre de séjour pour deux ans, ce qui lui permet de travailler et donc de se payer un toit et à manger, Marcia Mayouma vit dans le dénuement le plus total. Sans papiers, il ne peut ni travailler, ni étudier. «S’il n’obtient pas de titre de séjour…», commence le président Jean-Luc Quintin sans finir sa phrase. Comme pour Yousuf, le dirigeant envisage de faire une pétition pour alerter le grand public. «Marcia a une très belle mentalité, dit de lui Séquiné Traoré, fils coach. Même s’il n’a pas à manger, il serait prêt à donner son repas pour son prochain. »

Kevin Cao
kevin.cao@centrefrance.com
Twitter: @ kevincao87

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