Anticorps monoclonaux: « Le gouvernement a acheté un médicament sans preuve d’efficacité »


Les anticorps monoclonaux arrivent en France. Cette famille de traitements contre le covid-19 a connu son heure de gloire à la fin de l’année dernière, quand l’un de ces médicaments a été administré au président Trump. Depuis, deux produits, l’un commercialisé par Eli Lilly, l’autre par Regeneron, ont été autorisés aux Etats-Unis dans le cadre d’une procédure d’urgence. Dans l’Hexagone, le Premier ministre Jean Castex et son ministre de la Santé Olivier Véran viennent de donner le coup d’envoi à l’utilisation du produit développé par Eli Lilly, auprès de l’ANSM une autorisation temporaire d’utilisation.

« Quelque 83 centres hospitaliers ont déjà reçu des milliers de traitements », a annoncé Olivier Véran. Seulement voilà, l’efficacité de ces produits reste très débattue – tout particulièrement celle de ce premier médicament acheté par l’Etat. L’Express fait le point sur les questions soulevées par l’annonce du gouvernement avec le Pr Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie clinique du CHU de Bordeaux, et membre du conseil d’administration de la société française de pharmacologie et de thérapeutique, qui vient de publier une note à ce sujet.

L’Express: En quoi consistent les anticorps monoclonaux?

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Mathieu Molimard: Ce sont des anticorps de synthèse, produits en laboratoire. Les industriels commencent par repérer dans le sang de patients guéris des anticorps ayant un effet neutralisant sur le virus. Ensuite, ils « clonent » celui ou ceux qui leur paraissaient les plus efficaces, c’est-à-dire qu’ils trouvent son code génétique, et s’en servent pour faire produire ces anticorps en grande quantité par des lignées cellulaires placées dans des bioréacteurs. Une fois purifiés et concentrés, ils peuvent être injectés aux patients.

« Moins puissants et plus sensibles aux mutations que les vaccins »

Dans l’organisme, ils vont venir s’arrimer à la fameuse protéine S, qui forme les pointes à la surface du sars-cov-2. Cela va empêcher les particules virales de pénétrer dans les cellules, et bloquer le processus infectieux. Ils agissent donc comme un antiviral, et certains les assimilent à un « vaccin passif ». Mais contrairement aux vaccins, qui poussent à produire beaucoup d’anticorps différents qui permettent d’attaquer un très grand nombre de cibles sur la protéine S, les anticorps monoclonaux ne visent que des zones très réduites de la protéine. Ils sont donc potentiellement moins puissants, et surtout plus sensibles aux mutations du virus, qui peuvent les rendre « aveugles » au virus.

Quelle est l’efficacité du médicament désormais disponible en France?

Disons que nous avons globalement de premiers signes encourageants avec certains anticorps monoclonaux, mais qu’ils sont très limités. Et pour celui qui vient d’être acheté de façon massive par le gouvernement, il n’y a vraiment aucune preuve à ce stade que ce traitement fonctionne.

Ce médicament, le bamlanivimab commercialisé par la firme Eli Lilly, est une monothérapie, c’est-à-dire qu’il ne contient qu’une sorte d’anticorps. Trois articles ont été publiés dans des revues à comité de lecture sur ce produit. Le premier portait sur 314 malades déjà hospitalisés et sous oxygène, donc dans un état déjà dégradé: elle a été interrompue précocement car des résultats intermédiaires ont montré qu’il ne serait pas possible de publier une différence significative entre le groupe de patients traités et les malades malades un placebo a été administré. Un résultat finalement assez logique, car tous les experts s’accordent à dire qu’un antiviral doit être administré suffisamment tôt pour avoir un effet.

Le deuxième est l’analyse intermédiaire d’une étude de phase 2 réalisée sur un petit nombre de patients dans la phase précoce de la maladie. Elle a mis en évidence une diminution significative de la charge virale avec une des 3 doses par rapport au placebo, mais n’a trouvé aucun effet clinique sur la récupération des patients

Le troisième article, est la suite de la deuxième étude mais a testé à la fois le bamlanivimab pris isolément, ou en association avec un autre anticorps. Seule l’association des deux anticorps a montré un effet. Aucune différence statistiquement significative n’a pu être mise en lumière pour le bamlanivimab seul …

Comment expliquez-vous que le gouvernement ait décidé d’en acheter quand même?

Le politique a pris le pas sur la science. Les pouvoirs publics veulent montrer qu’ils font quelque chose, et ils ont peur d’être pris au dépourvu. On n’est pas loin de ce qui s’est passé sur l’hydroxychloroquine, où le gouvernement avait fait des stocks au cas où une efficacité aurait fini par être démontrée, ce qui n’a pas été le cas. Il faut bien avoir en tête que le fait que l’Etat en achète n’est pas la preuve que cela marche. L’Allemagne en a également commandé beaucoup, mais c’est la même logique: être sûr d’en avoir, au cas où …

D’autres anticorps monoclonaux plus efficaces pourraient-ils arriver plus tard?

On peut espérer car les essais disponibles que les combinaisons d’anticorps, les prises de façon très précoce, ont plus de chances de fonctionner. Pour autant, même pour ces produits, l’effet trouvé à ce stade n’est pas énorme. Il y a une lueur d’espoir, rien de plus.

« Aucune évaluation dans la population que l’on envisage de traiter »

L’association du bamlanivimab avec un autre anticorps a permis une réduction modeste de la charge virale et une petite différence sur le nombre de jours d’hospitalisation. La société Regeneron, de son côté, a développé directement une combinaison de deux anticorps monoclonaux. Des effets significatifs sur la diminution de la charge virale ont été montrés, mais l’effet clinique reste discutable car le niveau de preuve n’est vraiment pas très élevé.

La diffusion de ces produits devrait-elle donc en réalité rester limitée?

Tout à fait. Il ne faut pas croire qu’il s’agit du médicament miracle qui pourra être administré à grande échelle à toutes les personnes infectées à risque, pour leur éviter une aggravation. Car même si un net bénéfice finissait par être affiché, les patients doivent toujours être traités très rapidement, dans les 5 jours suivant l’affichage des premiers symptômes. Ou ces médicaments s’administrent par des perfusions qui durent une heure, à l’hôpital.

Cela va être très compliqué à organiser pour les pharmaciens hospitaliers, qui doivent aussi gérer le déploiement des vaccins. Ensuite, on peut anticiper des tensions d’approvisionnement, car les capacités de production sont limitées. Enfin, ce sont des produits très chers, au moins 1000 euros la dose. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’autorisation d’utilisation délivrée pour le premier médicament concerne, de fait, un public très restreint: les patients de plus de 80 ans et les personnes atteintes de déficits immunitaires du fait de maladies ou de la prise de certains médicaments. Pour autant, il faut noter que ce médicament n’a pas été évalué dans la population que l’on envisage de traiter …


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