À l’hôpital « avec » ou « à cause » de la COVID ?


On peut se le demander avec raison. Mais je ne suis pas convaincu que la réponse est aussi simple qu’elle en a l’air, et je ne suis pas certain de ce qu’on pourrait en faire. Acceptons d’abord ces definitions : « avec » la COVID veut dire que si, par hasard, le virus a été trouvé, du moins il n’est pas la cause principale du séjour à l’hôpital ; « à cause » de la COVID signifie que c’est le virus qui a bien mené le patient à l’hôpital.

Lors d’un point de presse, le ministre Christian Dubé soulignait récemment que 50 % des patients hospitalisés « avec » la COVID (ce qui implique que 50 % le « à cause » de l’infection). Allons-y donc pour la moitié.

Dans un rapport récent, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) mentionnait pour sa part que « jusqu’à 40 % » des patients hospitalisés l’étaient « avec » la COVID (au moins 60 % « à cause »), tandis que « jusqu’à 15 % » des patients aux soins s’intensifie s’y retrouvaient « avec » le virus (au moins 85 % « à cause »).

Un argument utilisé

Il n’est pas surprenant que le sujet suscite de nombreux débats depuis quelque temps. Il faut voir qu’un argument similaire a souvent été utilisé par ceux qui doutent de la pertinence des mesures (voir de la pandémie ou du virus lui-même) depuis les tout débuts.

C’est un peu le même genre de discours lorsqu’on dit que les patients décèdent « avec » le virus et non « à cause » du virus, un argument pas toujours entièrement faux, mais dont on étire très largement la signification pour éviter d ‘aborder la responsabilité du virus lui-même et par conséquent, l’ampleur même réelle de la pandémie.

Il ne fallait pas se surprendre de voir l’argument servi à la sauce antimesures, puisqu’il signifie que les patients à l’hôpital n’y sont pas tellement « à cause » de la COVID, mais bien « avec », ce qui sous-entendre que la récente vague Omicron serait bien moins grave qu’on peut le penser quand on suit les chiffres bruts d’hospitalisation. En sous-texte, on en fait un argument pour relâcher les mesures.

quelques doutes

Personnellement, quand j’ai vu apparaître ces pourcentages, je me suis interrogé sur leur origine et leur validité. Bien honnêtement, j’avais comme un doute.

J’ai demandé à l’INESSS, qui m’a répondu rapidement que c’était plutôt le ministère de la Santé qui lui fournissait ces données. Si ça vient du ministère, c’est que ça vient des hôpitaux. J’ai posé quelques questions afin de comprendre comment, dans un hôpital où se trouvent beaucoup de cas COVID, on peut déterminer qu’un patient est hospitalisé « avec » la COVID plutôt que « à cause » de la COVID.

De ce que j’en comprends, lorsque l’équipe médicale juge que la raison principale du séjour à l’hôpital est l’infection elle-même, avec atteinte respiratoire, il est classé « à cause » de la COVID, comme il se fais le. Et quand c’est une autre maladie qui prédomine, la trouvaille apparemment fortuite d’une infection à la COVID en fait un diagnostic secondaire qu’on place dans la catégorie « avec ». Voici un exemple de directive adressée mercredi le 12 janvier aux d’un hôpital de Montréal :

Mais comme la majorité des séjours à l’hôpital concernent des personnes âgées et/ou fragiles (maladie pulmonaire chronique qui empire, condition cardiaque aggravée, chute chez la personne âgée, épisode de confusion, infection urinaire, etc.), je me demande comment on peut s’assurer que l’infection à la COVID ne joue qu’un rôle secondaire.

Un flou évident

Un problème avec cette vaste liste de diagnostics, c’est qu’il existe bien des zones floues. Une personne âgée qui chute et se fracture la hanche, et chez qui on découvrirait une infection à la COVID, pourrait-elle être tombée en raison de la faiblesse causée par l’infection ? Qui peut affirmer que non ?

Comme la COVID entraîne surtout des symptômes respiratoires, ce tableau associé à un test positif fait que l’hospitalisation est classifiée « à cause » de la COVID. Et en l’absence d’un tableau respiratoire ou viral, le diagnostic de COVID anormal est plutôt classé « secondaire », ce qui pousse l’hospitalisation dans la catégorie « avec ». Sauf que c’est plutôt limitatif.

Un problème est que la COVID peut toucher une foule de complications à peu près tous les systèmes — du cerveau au cœur en passant par les poumons, le système circulatoire, le sang, les veines ; bref, des dizaines de diagnostics les plus variés. Comment vraiment savoir si l’embolie pulmonaire ou l’arctus n’ont pas été déclenché par l’infection COVID sous-jacente ?

Une fois ce jugement — un peu flou, on en convient — porté sur la raison du séjour du patient à l’hôpital, on regroupe les données, qui sont reçues au ministère de la Santé, ce qui concerne les chiffres.

La suite des choses

Bon, admettons que les « avec » représentent bien la moitié des patients hospitalisés. C’est beau de le savoir, mais il faut ensuite décider ce qu’on fait avec cette nouvelle donnée. Qu’est-ce que ça change ?

Évidemment, on peut déduire que si la moitié des hospitalisations ne sont pas « provoqués » par la COVID, la portée de la vague actuelle est moindre que ce qu’on pourrait penser. Je suis d’accord, mais une fois qu’on a dit cela, on en fait quoi ?

À l’hôpital, il faut bien continuer à se protéger et à protéger les patients pour éviter toute éclosion, qui pourrait menacer les équipes soignantes déjà fragilisées et les autres patients dans les unités de soins. Les mesures d’isolement doivent donc se poursuivre. Est-ce qu’on les ajustera ? Si oui, commentez ? Il demeure improbable qu’on les relâche simplement parce qu’il s’agit d’un cas « avec » plutôt que « à cause ». Pas un gros potentiel d’incidence à l’hôpital, on le voit.

Est-ce qu’on relâchera les mesures pour contrer la propagation virale hors des hôpitaux parce qu’on juge que l’infection est moins grave que prévue ? Je doute que ça soit actuellement opportun, puisque cela aurait pour conséquence d’augmenter le nombre de patients avec des tests positifs à l’hôpital, ce qui ne réglerait rien.

Ça change quoi ?

Soit, il existe des patients hospitalisés avec des tests PCR positifs qui ne sont pas à l’hôpital « à cause » de la COVID, mais bien « avec ».

Cependant, j’ai fortement tendance à penser que la donnée est floue et je ne vois pas exactement ce que cela change. Même si on accepte l’existence du phénomène, même si on dit que la moitié des patients sont à l’hôpital « avec » la COVID et même si on relativise ainsi la virulence de la vague actuelle.

Ou, si une nouvelle donnée ne change rien à un problème, si elle n’entraîne pas de décisions différentes et si elle ne mène pas à la création d’options de rechange, je doute qu’il soit nécessaire de dépenser notre énergie pour amorcer des pourcentages et baser nos actions sur ceux-ci.

Nous avons pour l’instant bien d’autres défis à relever.

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