« Tout était prêt » : comment Cazeneuve a failli se lancer dans la course à la présidentielle


Il fallait le voir monter sur scène avec sa veste trois-boutons vert olive, de ces costumes edwardiens dont les dandys de la IIIe République raffolaient. Bernard Cazeneuve a fait le chemin jusqu’à Lille pour « donner son soutien » à Anne Hidalgo. Ce 23 octobre, la candidate socialiste lance sa campagne présidentielle en grande pompe devant ce qu’il reste du gratin socialiste. A la tribune, l’ancien Premier ministre fait mouche en invoquant le souvenir grave des attentats de 2015, les grandes heures de la gauche depuis 1936 ; il cite François Mitterrand : « Les fils de l’Histoire ne se coupent jamais. » Sur l’ovationne de longues secondes. Certains fils scandent nom. Au deuxième rang, un militant socialiste, bouche bée : « La vache ! Cazeneuve, c’est quand même un autre niveau. Ça fait longtemps que je n’avais pas entendu une politique me hérisser le poil comme ça. » Et son voisin d’acquiescer dans un regret : « Ah, si c’était lui ! » Et si ça avait été lui ?

Retour à 2019. Les élections européennes s’annoncent (très) escarpées pour les socialistes français. Le premier secrétaire, Olivier Faure, qui ne souhaite pas être le candidat d’une si lourde défaite, appelle Ségolène Royal, Jean-Christophe Cambadélis, Christiane Taubira et Bernard Cazeneuve pour leur rétrocéder la patate chaude. Ce dernier dit non, comme il disait non à l’idée de prendre les rênes du PS un an plus tôt. Il a une autre date dans sa ligne de mire : l’élection présidentielle d’avril 2022. Avec un petit groupe de camarades socialistes, dont certains sont issus du gouvernement qu’il dirigeait aux dernières heures du quinquennat Hollande, il s’y attelle urgente.

« Il semblait être prêt pour tracer le chemin vers 2022 »

« Tout était prêt », confirme Christophe Sirugue. L’ancien secrétaire d’État à l’Industrie a été chargé de trouver un référent « cazeneuviste » dans chaque département de métropole et d’outre-mer. « Très rapidement, j’ai eu plus d’une foule de personnes prêtes à soutenir Bernard. Je leur ai dit : quand on vous donnera le top, vous fédérerez des gens du et hors du PS pour lancer ce qui doit ressembler à une campagne . » Autour de Cazeneuve, on croise son successeur à l’Intérieur Matthias Fekl mais aussi l’ex-secrétaire d’État Clotilde Valter, le sénateur Patrick Kanner et la députée Valérie Rabault. « J’alimentais Louis Schweitzer en notes politiques », se souvient Kanner. A l’ancien patron de Renault – un ami de celui qui fut maire de Cherbourg -, la construction du programme. Les socialistes sont emballés. Un cadre lui promet : « On te déroule le tapis rouge à condition que tu saches le repeindre en vert. »

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Bernard Cazeneuve avance à petit pas mais a promis aux siens d’en faire un grand. Ce sera le 9 septembre 2019, à la Fête de la rose de Maraussan. On n’a jamais vu autant de ténors socialistes se presser dans cette petite ville aux portes de Béziers, dans l’Hérault. Martine Aubry est là, Carole Delga aussi. Une foule de parlementaires, de ministres de François Hollande, de présidents PS de départements et autres élus locaux arborant encore fièrement la rose. « Ce jour-là, il s’est avancé dans les habitudes de futur candidat socialiste à l’élection présidentielle, raconte sans détour Michel Sapin. Il tombe, à ce moment précis, un espoir perdu. Il semblait être prêt pour tracer le chemin vers 2022. »

Plus d’une 100 % de responsables socialistes répondent au « serment de Maraussan ». Le bruit remonte même aux oreilles de Montebourg. Celui qui n’est pas encore candidat raconte : « Je l’invite à déjeuner et dès le début, j’y vais franco en lui disant : « Il paraît que tu veux t’y coller ? » Il me dit oui et je lui dis que s’il y va, je le soutiendrai. Je n’ai jamais eu de nouvelle depuis. » Tenu à distance, Olivier Faure goûte peu aux manœuvres d’arrière-cuisine de Cazeneuve et des siens. Au téléphone, il menacerait presque l’ex de Matignon : « C’est quoi ce bordel ? Tu te souviens que seul le Parti peut investir le candidat à la présidentielle ? » Faure n’élude alors pas la possibilité de ranger l’appareil derrière un candidat d’Europe écologie – Les Verts tel que Yannick Jadot, et rappelle que la ligne officielle du PS porte désormais haut et fort « la social-écologie ». Piqué dans son orgueil, il commande deux sondages jusqu’alors restés dans le fond d’un tiroir. L’un teste Christiane Taubira et l’autre Bernard Cazeneuve. « Aucun ne dépassait les 7 % d’intentions de vote », murmure un cadre du PS dans la confiance. Guère plus qu’Anne Hidalgo, désormais candidate officielle.

A mesure que les équipes de Cazeneuve se structurent, lui se mure dans un silence interminable. « Bernard ne l’a jamais dit mais on a tous compris qu’il n’irait pas. Il avait tout validé, les correspondants par départements, les soutiens, les réunions publiques, etc. Tous ces gens m’ont appelé pendant des semaines pour en savoir plus, mais moi-même je n’avais aucune réponse », se rappelle, amer, Christophe Sirugue ; qui admet : « Il y avait une vraie attente et je regrette profondément qu’il n’ait pas forcé le destin. » Kanner, maintenant dans l’équipe d’Hidalgo, renchérit : « J’ai été vraiment triste qu’il n’aille pas jusqu’au bout de sa démarche. Avec sa personnalité et son poids dans l’opinion, est-ce que la responsabilité politique n’imposait pas d’y aller ? »

Pourquoi Cazeneuve a renoncé

« Pourquoi ? » Encore aujourd’hui, et surtout à mesure qu’Anne Hidalgo décroche dans les sondages, la question brûle les lèvres des socialistes. A vrai dire, les envies présidentielles de Cazeneuve se transforment en doutes un mois avant Maraussan. Au coeur de l’été 2019. Edouard Philippe a rendu public les frais engagés pour les Premiers ministres. C’est à Bernard Cazeneuve que revient la palme du plus onéreux locataire de Matignon : 143 408 euros. « Ça lui a fait mal, concède un de ses fidèles. Ça entachait sa probité – Dieu sait qu’il y est attaché. » Anecdotique révélation qui reste de douloureux souvenirs à une époque où la politique est marquée par ses marges. « Il craignait que les questions éthiques soient instrumentalisées en pleine campagne, et en particulier que les écologistes l’attaquent sur la mort de Rémi Fraisse à Sivens », croit savoir Cambadélis.

« L’état-major socialiste m’a bien fait comprendre qu’il ne voulait pas de moi. Ils n’étaient pas dans la vision de la social-démocratie que j’ai, ils me parlaient dans une novlangue, de social- écologie ou que sais-je. N’agis pas », confie Bernard Cazeneuve à L’Express. « Je ne cherche pas à plaire ni à moi fondre dans l’époque car la vie politique est une affaire de temps long. » Surtout, le fier Cazeneuve ne veut pas se salir les mains, rêve d’un chemin royal, renâcle à l’idée de comploter contre ses amis socialistes – comme Mitterrand pour gagner Epinay d’un cheveu. Un « hollandais » pique : « Il ne veut pas de primaire, il veut être nommé, couronné. Il a le sentiment que parce qu’il est intègre, propre et bosseur, on viendra naturellement le chercher. Mais il oublie que le monde politique est moche, qu’il ne fonctionne pas comme ça. »

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Bernard Cazeneuve, 58 ans, dit ne rien regretter. « J’ai une liberté que tous ceux qui ont un agenda politique n’ont pas, promet-il. Ceux qui ont un dessein pour la France mettent beaucoup de temps pour accéder au pouvoir parce qu’ils ne font pas de compromis sur les valeurs, ni ne tombent dans l’écueil de la séduction. » Fin août, quand les premiers sondages pointaient Anne Hidalgo autour des 5 %, il a de nouveau caressé l’idée, réactivé ses réseaux, en a parlé à François Hollande. « C’est trop tard, il y a Anne », lui ont-ils tous rétorqué. Alors, il s’est rangé derrière elle, sachant que cette fidélité-là ne lui sera jamais reprochée, même en cas d’échec historique. Et après ? Il y aura 2027. « S’il ya besoin de moi, je viendrais aider. » Un Jacques Delors du XXIe siècle.


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